Peggy rasait les murs des couloirs la peur au ventre. Elle n'avait pas l'habitude d'enfreindre le règlement. Surtout comme ça : elle n'était pas simplement en train de braver le couvre-feu, elle allait entrer par effraction dans la salle de classe de potions, voler des ingrédients, et faire des potions interdites aux élèves. Ca faisait vraiment beaucoup. Elle espérait ne pas se faire prendre. Elle espérait ne pas se faire renvoyer si elle se faisait prendre.

Mais elle aurait fait n'importe quoi pour son amie. Violet était l'une des rares (voire l'une des seules) personnes qui lui parlait, et à qui elle parlait. Elles s'étaient rencontrées par hasard, parce que l'une comme l'autre cherchaient les passages secrets où se réfugier, parce que l'une comme l'autre faisaient tout leur possible pour éviter la foule et les gens. Elles étaient devenues amies, parce que dans les recoins du château Peggy avait pu dépasser sa timidité maladive et balbutier quelques mots – ou plutôt les écrire, au début, parce qu'elle n'arrivait pas à parler et qu'elles avaient commencé leur amitié par une correspondance. Peggy se doutait bien que Violet n'accordait pas beaucoup d'importance à une fille comme elle, non, mais elle appréciait clairement sa compagnie – et la petite Poufsouffle aurait fait n'importe quoi pour remercier la petite Serdaigle de l'attention qu'elle lui portait. Et elle le pensait. Elle était en train de faire n'importe quoi pour elle, là maintenant tout de suite, et elle n'avait aucun regret. Même si à la fin de la nuit, elle allait se faire renvoyer du château. Même si après ça Violet ne lui parlerait plus jamais, parce qu'elle n'allait quand même pas faire l'effort de continuer à lui envoyer des lettres dans son orphelinat moldu. Peggy n'en valait pas la peine. Et la gentillesse gratuite que la demi-vélane lui offrait méritait tout les élans de remerciement du monde – parce que Peggy ne pourrait jamais la remercier assez.

Et puis, en plus, ce qu'elles allaient entreprendre était diablement excitant. Elles voulaient faire des potions pour changer de genre. Violet avait envie de se transformer en garçon. Pourquoi exactement, Peggy n'osait pas demander malgré sa curiosité dévorante (rien que d'y penser suffisait à la rendre rouge comme une tomate), mais elle comprenait très bien en quoi devenir un garçon pouvait être intéressant (rien que d'y penser suffisait à la rendre rouge tomate aussi). Et en-dehors de tout ça, si Peggy arrivait à collectionner suffisamment de potions, elle aurait peut-être la chance de pouvoir rencontrer Jazzie – en tant que beau jeune homme gay de dernière année, celui qu'elle avait inventé de toutes pièces pour correspondre avec elle.

Bref, toute cette histoire était très risquée, et très tentante, et Peggy avançait avec la peur au ventre mais sans la moindre hésitation.

Elles avaient convenu d'une heure précise pour leur rendez-vous, et cette heure arrivait. Peggy espérait vraiment que Violet serait là.

Surtout que là maintenant, dans quelques minutes l'heure tomberait, et qu'elle était déjà devant la porte, à attendre fébrilement quelque chose.

Un signe. Une présence – enfin, celle de son amie et de personne d'autre. Pas celle d'un fantôme. Pas celle d'un préfet. Et par Merlin surtout pas celle d'un prof.

Peggy jetait des coups d'oeil inquiets de part et d'autre du couloir, se rongeant les ongles d'une main, l'autre restant crispée autour de sa baguette, silencieuse, immobile ou presque, n'osant pas prononcer de lumos, d'alohomora, de quoi que ce soit de peur de se faire prendre. Heureusement que Violet était à Serdaigle. Peggy, elle était un peu nulle en cours de Sortilèges. Monsieur Emerald lui mettait toujours des notes affreuses assorties de commentaires tout aussi affreux – quand il se souvenait qu'elle était présente dans son cours.

Et puis, soudain, une autre ombre, furtive, s'engouffra dans le couloir. Peggy se figea. La détailla. Violet ! Une main, timide, se leva, avant de lui faire de grands coucous silencieux pour qu'elle la remarque. Violet était venue ! Peggy était aux anges. Et, terrifiée autant que surexcitée, terriblement flattée de voir que son amie ne l'avait pas abandonnée, elle lui murmura fébrilement ses inquiétudes dès que la petite Serdaigle fut auprès d'elle.

« Ca va ? On ne t'a pas vue ? Tout va bien ? Moi tout va bien, je suis prête, tu es prête ? On y va ? »

Peggy n'avait pas aligné autant de phrases d'un bout à l'autre depuis bien longtemps. Violet était vraiment l'une des rares personnes avec qui elle arrivait à parler, sans peur, s'il n'y avait personne d'autre autour d'elles. Elle avait vraiment de la chance de la connaître, Peggy. Violet ne se rendait pas compte du cadeau qu'elle lui faisait, rien qu'en étant là.

Peggy se mit à rougir un peu, cachée dans la pénombre du couloir et dans la cape d'invisibilité rapiécée. Elle était contente d'avoir une amie. Violet agissait comme si c'était naturel. Elle devait juste être contente d'avoir une amie de plus dans son petit cercle de connaissances – Peggy les avait vus tous ensemble, de loin, quand il faisait jour et qu'elle n'osait pas s'approcher des autres. Peggy observait. Ils avaient l'air de bien s'entendre, et ça la faisait sourire : Peggy souhaitait juste voir son amie heureuse. Elle ne s'attendait pas à ce qu'elle s'intéresse aussi à elle en retour. Elle n'en demandait pas tant. Mais Violet lui tenait la main pour partir à l'aventure avec elle, et Peggy se sentait très heureuse et très flattée quand même.

La porte de la salle de potions s'était ouverte devant elles, et Peggy s'engouffra dans l'obscurité totale qu'était la pièce. Juste un pas. On n'y voyait rien. On n'y voyait déjà pas grand-chose dans le corridor d'où elles venaient, et on n'y voyait déjà pas grand-chose non plus quand il y avait cours, malgré les lanternes et les feux sous les chaudrons qui faisaient danser les ombres sur les murs. Elles se seraient crues en plein coulnoir.

« Je – je pense qu'il faut faire de la lumière. » constata-t-elle. « Lumos. »

Et la pointe de la baguette de Peggy s'alluma d'une petite lumière douce et chaleureuse.

« Tu crois qu'on voit mon sort, même si je le garde caché sous la cape ? » souffla-t-elle, anxieuse à l'idée de se faire prendre. Elle regarda craintivement derrière elle.

« On rentre et on ferme derrière nous ? Pour pas qu'on nous voie depuis le couloir. »

Parce que dans la tête de la petite fille, elles allaient rester ici le temps de faire leurs potions. Peggy n'avait même pas pensé à trouver un moyen moins risqué de parvenir à leurs fins : l'idée de passer plusieurs heures en compagnie d'une amie l'enchantait tellement qu'elle s'était sentie prête à tout rien que pour vivre cette chance. Ce n'était pas tous les jours qu'elle pouvait vivre une aventure pareille. D'habitude elle restait toute seule, de jour comme de nuit – ce qui n'était pas un mal, non, Peggy savait qu'elle n'avait rien à apporter aux autres, elle ne se plaignait pas, elle souriait gentiment, elle pensa à autre chose, il fallait encore tout organiser.

Violet et Peggy rentrèrent dans la salle de cours, et la petite Poufsouffle se sentit un peu mieux – elles risquaient sûrement moins maintenant. Peggy balaya le vide de la salle autour d'elles du bout de sa baguette, en tentant de discerner tout ce qu'il y avait à voir dans la pénombre.

« Il y a les chaudrons là-bas aussi. » nota-t-elle. « On a tout ce qu'il nous faut. » Il n'y avait plus qu'à se mettre au travail ! « Je vais installer un chaudron, et tu ouvres l'armoire, et ensuite on regarde ce qu'il y a dedans ? Enfin je veux dire si tu veux. » proposa-t-elle timidement, tirant sur le bas de sa blouse, un peu inquiète à l'idée de déranger son amie.