Voilà l'après-midi bat son plein en cette chaude journée de printemps. Les cours sont finis depuis presque une heure, et tu flânes innocemment dans les couloirs après être sortie de la bibliothèque où tu es passé pour t'ennuyer. Soupirant, tu passes devant des groupes de filles gloussant derrière toi, se moquant peut-être du fait que ton corps est trop grand, trop fin, de ta coupe de cheveux toujours en bataille, ou que sais-tu d'autre. Non, aujourd'hui tu as décidé de laisser tous tes vieux démons dans une boîte au fond de ton âme. Il faut beau, alors tu profites des rayons chauds sur ta peau un instant, même si d'ordinaire tu n'apprécies pas tellement ce contacte, le fuyant presque.

Descendant les escaliers du troisième étage jusqu'au rez-de-chaussée, tu atteints la grande salle où les élèves font leur devoir à cette heure-ci ou discute avec animation. Toi, tu as un rendez-vous amical avec Cyryiel autour d'une partie d'échec version sorcier.

Tu te souviens, il a des semaines de cela, lui avoir proposé un jour une partie après une sortie à près-au-lard. D'ailleurs tu te surprends à l'avoir fait de ton plein grès. Mais il faut croire que tu apprécies plutôt bien cette fille qui te ressemble presque comme deux gouttes d'eau. Le Prêtre te demande de faire des efforts sociaux. Alors tu fais docilement. Pour une fois tu fais ce que l'on te dit sans broncher, même si intérieurement ça te coute un peu.

Alors que la préfète arrive, tu installes tout le matériel, la saluant avec un regard un peu plus doux que d'habitude, « Salut... Prête ? », tu places les derniers pions avant de lui demander, « Tu veux être les blancs ou les noirs ? », excitée à l'idée commencer une gentille petite guerre.Mais tu n'en laisses rien transparaître.

« Ok pas de problème. », il n'y a jamais de problème avec Cyryiel. Jamais. Toi, cette situation, tu ne sais pas vraiment comment la prendre. Il y a tellement peu de monde qui arrive à te supporter toi et ta stupide fierté, toi et tes stupides secrets. Ça te met un peu mal à l'aise cette attention douce que te porte certaines personnes. Toi, Aleksandra, tu n'as jamais que vécu dans le noir, dans l'ombre, dans le regard horrifier, peureux ou douloureux des gens. Et là, cette lumière soudaine que l'on te lance en plein visage. C'est si nouveau. Si agréable, que ça te fait terriblement peur. Tirailler entre l'envie de s'abandonner à cette allégresse ou toujours vivre sur tes gardes.

Les coudes sur le bois sombre de la table, les doigts légèrement enlacer et la tête poser sur ceux-ci tu observes les pièces blanches devant Cyryiel, formant une muraille menaçante. Comme tu trouves que le blanc va bien à Cyryiel... Mieux qu'à toi en tout cas. Chez elle au moins ça ne sonne pas faux.

Divaguant encore un peu, ton regard se porte bien vite sur le pion blanc devant la reine. Tu hausses un sourcil devant cette action bien téméraire, et ta langue claque interloquer.

Tu déplaces à ton tour un pion, celui devant le fou pour que celui-ci sorte ses épées et réduise en poudre son adversaire. Et étrangement, le tient se désintègre également. Humpf... Fiabilité de la magie, bonjour, « Tu dois faire plus attention à ta reine... », conseilles-tu sans lui accorder un regard.

Tu soupires devant le caprice du plateau, mais tu ne t'y attardes pas plus que ça , ne souhaitant pas particulièrement te faire agresser par des pièces d'échiquier, en osant porter la main sur les poussières de pion. Alors tu te contentes de secouer légèrement la tête, désapprobatrice, sans lever les yeux du jeu. En silence, un silence un peu gênant ; ne sachant pas comment commencer une discussion avec Cyryiel. Toi, Aleksandra, tu n'as jamais été très communicative. Même avec les gens que tu supportes, voir apprécies. C'est comme ça. Et pourtant, ce n'est pas que tu ne veuilles pas parler, c'est juste que ta langue ne veut pas se décoller de ton palais, trop timide, ou avec la peur d'agacer. C'est un peu compliqué disons. Alors le malaise s'installe... un moment du moins.

« Tu joues aux échecs souvent ? »

Quand tu entends la douce voix de la préfète, ton coeur se crispe, un peu affolé, mais aussi extrêmement soulager que cela soit elle qui engage la conversation. Tu n'aimes pas vraiment faire des parties d'échec en silence... Autant étrange que cela soit, cela te déconcentre fortement. Alors les commissures de tes lèvres se retroussent un instant, en un léger rictus qui n'est qu'éphémère, « Oui je joue souvent aux échecs. Je fais partie du club d'ailleurs. C'est l'une des rares occupations qui ne m'ennuie pas... », dis-tu toujours en réfléchissant intensément au déroulement de ta stratégie.

Comme par magie - c'est ironique n'est-ce pas - ton pion détruit revient à la vie. En un léger froncement de sourcil, tu réfléchis à toute vitesse, et décide de l'utiliser pour détruire un second pion de Cyryiel. Elle ne fait décidément pas attention à sa muraille, c'est plutôt fâcheux, « Tss... il faut croire que le plateau est un peu capricieux aujourd'hui... », lâches-tu un peu amer avant de regarder la demoiselle d'un air plus doux, « Et toi, sinon ? Tu joues souvent ? », la voix plus amicale.

Non te dit-elle. Non dit-elle. Non Cyryiel ne joue pas souvent aux échecs. Et ça se voit. Ça se voit fortement, mais tu lui pardonnes cette incompétence. Et puis de toute évidence le plateau a décidé d'être fort capricieux en cette fin de journée printanière, alors tu ne peux pas lui en vouloir. Tu ne lui en voudras jamais à cette fille d'ailleurs, tu penses. Elle est douce, calme, attentive, et utile. Oui utile. Ou plutôt le mot « serviable » est plus approprié. Ça fait moins bonne servante. D'ailleurs, tu te demandes comment tu la considères cette fille. En tout cas, pas de façon négative. Si elle cherche à se défaire de bon Richard cela ne peut être qu'une personne au bon coeur.

Puis ton coeur se sers quand elle parle de famille, ta mâchoire se crispant à ce mot. Toi tu n'as pas de famille l'été. Juste le Prêtre. Et encore... vous restez en silence devant la table le soir. Il essaye de te parler, il te sourit. Toi tu l'observes sans arriver à dégeler tes lèvres. Ça te rend triste, un peu morose cette idée... Alors tu soupires, essayant de chasser cette pensée grisâtre.

« Oui, c'est bien. Je vois des gens au moins... un peu... », dis-tu simplement. C'est plaisant et en même temps non. Il faut dire que des fois tu te retrouves avec des gens.... Plutôt lourd... comme Waël par exemple, ce petit garçon à la vie gueulante. Mon dieu... ce gosse est une vraie calamité ! Rien que d'y penser tu en soupires. Et puis tu te reconcentres, regardant le jeu devenu prudent de la préfète.

Quand tu décides de faire bouger ton cavalier de gauche, la pièce récemment détruite de Cyryiel revient momentanément à la vie. Humm… oui pourquoi pas… C’est tout a fait normal. Oui. WHY NOT ?! bref… Parle Aleksandra, le silence est lourd. Même un truc bateau, « Le plateau est décidément capricieux aujourd’hui… Peut-être le karma. », Alek ? t’es nulle.