Garfield allait se rasseoir, mais non. C'était reparti pour un tour, apparemment ; il se doutait bien que cette ambiance lourde mènerait à une catastrophe, mais il n'avait pas déterminé laquelle, et il n'imaginait pas celle-là. Il n'avait rien fait pourtant. Qu'elle choppe son poignet, il pouvait comprendre, elle avait déjà prouvé son manque de résistance pour son sex-appeal tout à fait explosif – arrêtez de rire, vous, là – mais qu'elle ait l'air tellement triste deux secondes après qu'il ait fait quelque chose de gentil et de complètement (presque complètement) innocent... Elle était compliquée. Tellement compliquée.

Elle se leva, et se blottit contre lui après un instant à hésiter entre sourire ou pas, visiblement, et il ne savait même pas pourquoi. Il ne savait pas non plus pourquoi elle pleurait. Mais le carnet parlait tout seul, abandonné sur le fauteuil... Sensation de déjà-vu, encore. Il écrivait en bleu. Après la période rose, ce truc se prenait pour Picasso.

« Qu'est-ce qu'y se passe ? » Encore.

Qu'est-ce que c'était que ce drame ? Pardon... Sérieusement, hein.

« Pardon pour quoi ? »

Il avait envie de poser des questions débiles, genre « T'es allergique aux couvertures ? », mais il se retenait, parce qu'elle n'avait pas l'air bien, et qu'il ne savait pas quoi faire. A vrai dire, les questions débiles venaient peut-être d'une certaine panique. Il l'attrapa par les épaules pour la faire reculer un peu, pas tellement pour le fait qu'elle recule, mais pour voir son visage.

« Explique-moi, Jodie, parce que là je comprends plus rien. Parle-moi. Pourquoi tu pleures comme ça, alors que ça allait bien ? »

Garfield ne voulait pas dire ça comme ça, évidemment. Pour lui, elle parlait via son carnet, et voilà. C'était un peu frustrant mais c'était comme ça, il ne savait pas pourquoi elle était muette.

▽ Be my  doctor.

Tes yeux paniquent, ton esprit paniques, tu paniques. Ton regard bouge trop rapidement sans jamais croiser le sien, des images se tamponnent violemment contre ton esprit, contre ta volonté. Quel était donc cet endroit ? Un train ? Un train. Un quai de gare. Tu avais peur. Arrête. Arrête Jodie. Tu arrêtes, tu lèves la tête vers lui, comme s'il ne s'était rien passé. Tu as oublié. Tu oubliais toujours, de toutes façons. Tu avais l'air de ne plus rien savoir, tu ne savais plus rien. Et puis ça revenait. C'était douloureux. Tu baisses les épaules, tu restes là, bouche-bée, devant des scènes que tu voulais oublier. Tu les avais oubliées. Pourquoi est-ce que tu pensais au passé ?

C'est ma faute.

C'était toujours ta faute. Toujours. Parce que depuis toujours, on avait dit que c'était à cause de toi, que les choses étaient différentes. Alors forcément, dans ton esprit d'enfant en manque d'amour, ça avait toujours été ta faute et il fallait réparer ta faute. Un pardon, ce n'était pas assez. Parce qu'ils n'étaient plus là pour l'entendre. Parce que Jack n'était plus là, parce que ton père n'avait jamais été là. Parce que tu étais seule. Alors pourquoi est-ce que ça revenait quand Garfield était là ? Pourquoi quand lui il te regardait, tu étais heureuse ? Pourquoi quand lui il te regardait, tu te sentais coupable ?

Si Jack est mort, c'est de ma faute.

Tu mimes un rire nerveux. Les lettres coulent comme si elles étaient de la peinture à l'eau. Tu te mords les lèvres, souris, nerveuse. Tu n'en pouvais plus de fuir. Parce que tu voulais être heureuse, parce qu'être heureuse c'était être forte. Parce que si tu souriais, les gens t'aimaient. Dixit Papa.

Tu vas pas mourir, toi, hein ? Le train ne va pas te faucher, pas vrai ?

Garfield était complètement largué, en fait. Qu'est-ce qui était de sa faute ? C'était qui Jack ? Et qu'est-ce que c'était que cette histoire de train ? Il n'était pas le gars sensible du coin, elle aurait dû s'adresser à Kalev, même si ses poèmes étaient un peu nazes parfois. Ou à Wes. Ils étaient plus gentils, plus compréhensifs. Garfield il était juste paumé. Et il n'était pas certain d'avoir envie de poser des questions, parce que ça ressemblait à une crise de panique, et il ne voulait certainement pas aggraver ça.

Il prit une grande inspiration, pour essayer quand même.

« Je sais pas de quoi tu parles, mais j'ai pas l'intention de mourir. Y a pas de train à Poudlard, à part aux vacances, et j'ai pas l'intention de me jeter dessous non plus de toutes façons. Je me pète souvent la tronche, c'est pas tellement faux, mais l'infirmier me recolle toujours. »

Il parlait doucement, en la regardant avec une certaine peur dans les yeux, qu'elle continue dans cette voie. Sérieusement, comment est-ce qu'ils en étaient arrivés là ? Quand elle faisait un cauchemar, c'était pas un peu. Il soupira. S'il avait été égoïste et s'il n'était pas autant perturbé par elle, il l'aurait plantée là pour retourner se coucher. Pourquoi toujours des drames la nuit, hein ? Les drames ne pouvaient pas attendre le matin ? Genre midi ? Apparemment, les drames étaient programmés par le même démon que les entraînements de Quidditch, toujours trop tôt. Est-ce que ça voulait dire qu'Alix contrôlait les drames... ?

Garfield se serait presque tapé sur la tempe pour ordonner à son cerveau de fonctionner droit au lieu de faire des tours et des détours. Le stress n'était pas bon pour son train de pensée. TRAIN de pensée. Tchouu tchouu. Oh merde, c'était pas le moment de l'humour foireux. On se reprend.

Refermant les bras autour de Jodie, il la serra contre lui, essayant de... Il ne savait pas trop. La réconforter ? Lui faire comprendre qu'il était là ? Un truc comme ça. Mais il fallait qu'elle se calme.

« Arrête de sourire bêtement », lui glissa-t-il finalement à l'oreille. « C'est comme le reste, j't'ai expliqué. On sourit quand on en a envie. »

▽ Be my  doctor.

Il n'allait pas mourir et en plus il te serrait contre lui. Stop. Cette voie était dangereuse. Se rappeler était dangereux. Beaucoup trop dangereux. Tu ravales ta salive. Tu fermes les yeux. Tu oublies. Tu oublies. Tu oublies. Oublie. Tu t'endors. Hein ? Tu n'avais même plus capter sa dernière phrase tant ta conscience était partie vite, tu avais lâche tout ton poids en avant; donc contre lui. Ton carnet demeure vierge. Quand il le voulait, il pouvait être calme, en vrai.

T'allais peut-être le faire tomber et il allait peut-être te lâcher, aussi. Tu te serais éclatée par terre, c'était pas grave. Au moins le sol aurait amorti ta chute. ha. ha. Tu avais récupéré une esquisse de sourire. Pas un faux. Juste parce que c'était gravé sur ton visage. Ta nuque ne retenait plus ta tête et des mèches de cheveux passaient sur ton visage. Peu nombreuses, mais présentes malgré tout.

En fait tu étais faible. Tu avais toujours été faible. Tu faisais juste semblant d'être forte. Parce que si tu avais retenu tes larmes tant de temps, changer tes idées et toujours vécu les moments présents comme ils arrivaient, avec Garfield, tu n'y arrivais pas. Justement parce qu'il te suffisait. Parce que Garfield seul était assez pour occuper la place manquante dans ton petit cœur, parce que par sa seule présence il pouvait effacer cette douleur. Sauf que pour effacer la douleur, il fallait se souvenir.

Et tu les fuyais.
De toute ton âme.
Tu les fuyais.

Tout ça parce que tu avais peur. Terriblement peur. Non vraiment. Tu étais terrifiée. C'était peut-être la raison pour laquelle tu t'étais endormie. N'était-ce pas la meilleure fuite, de t'endormir ? De faire disjoncter ton esprit ? De le dégager de ta tête pour ne plus rien ressentir ? Ton cœur se brisait. Les bras de Garfield autour de toi le maintenait en vie.

C'était douloureux.
Alors tu fuyais.
Parce que tu avais peur.

Garfield la tenait serrée contre lui depuis plusieurs minutes, et le carnet ne disait plus rien. Il la sentait doucement se détendre. Elle avait vachement confiance, lui ne se serait jamais laissé aller dans les bras de lui-même. Il se connaissait.

Là, il n'osait pas bouger, même d'un poil, et il se contentait de rester debout et de la tenir en écoutant sa respiration se faire plus profonde et plus régulière. Vu comme elle s'était effondrée, c'était déjà rassurant qu'elle respire, alors il écoutait avec recueillement. En essayant de comprendre comment il était arrivé là, comme d'hab, et en jetant des coups d'oeil nerveux vers les portes des dortoirs, en priant pour que personne n'ait la mauvaise idée de descendre maintenant.

Il était presque étonné d'avoir assez de force pour la garder comme ça contre lui, alors qu'elle était désarticulée comme une poupée de chiffon... A vrai dire, il ne pouvait pas faire ça éternellement, même si elle était petite. Alors il manoeuvra en bougeant un millimètre à la fois, jusqu'à parvenir à la soulever. Bon, il n'était pas doué, hein, alors il manqua de la lâcher trois fois, dont une où il vit sa tempe s'approcher dangereusement du coin d'une table pas loin.

Un bon paquet d'acrobaties plus tard, elle était dans le canapé, et il étalait la couverture sur elle. Bah oui. Il ne pouvait pas la ramener dans le dortoir des filles – sirène (version hurlante, pas sexy) et escalier toboggan – et le dortoir des garçons on n'y pense même pas. Elle n'était pas trop mal installée. Elle n'était pas bien bordée et tout, c'était un canapé, mais bon, c'était toujours mieux que de la larguer par terre.

C'était vachement tentant de retourner dans son plumard bien douillet, mais il n'avait pas envie qu'elle flippe au réveil. Alors il choppa aussi une couverture, et s'installa dans le canapé d'en face, bien loin. S'il dormait là jusqu'au matin, il n'aurait rien à se reprocher en disant qu'il avait réconforté Jodie après un cauchemar, après tout, c'était noble, hein. Mais il avait quelques doutes quant à la longueur de sa nuit. Il pouvait parier que les emmerdes n'étaient pas finies, il s'en était trop bien tiré. Il soupira, la regarda encore cinq minutes, en la fixant bien pour être sûr qu'elle n'était pas morte, et puis il ferma les yeux, s'endormant quasi instantanément.

▽ Be my  doctor.

Des cauchemars. Encore des cauchemars. Toujours des cauchemars. Ils revenaient de plus en plus souvent. Pas toujours les mêmes, mais c'était quand même des cauchemars. Une heure plus tard, tu ouvres les yeux. Il n'y avait encore personne dans la salle commune. Après tout, c'était un peu tôt pour se réveiller. Et toi, tu ne pouvais plus dormir. Encore une fois. Tu te relèves, t'assieds et passe tes genoux jusqu'à ta poitrine. Tu regardes Garfield. Tu remarques la couverture. Oh. Il t'avait portée ? Quand tu t'étais endormie ? Tu baisses les yeux, souris, timidement. Il n'y avait personne qui pouvait voir, pourtant. C'était juste parce que c'était lui.

Tu relèves les pupilles, tes longs cils pesant lourd à cause d'une mèche de cheveux qui s'était emmêlée à eux. Tu passes ta main sur ton front et puis dans ta chevelure rose pour les retourner jusque derrière ton dos. Tu te mords la lèvre inférieure. Tu trembles un peu. Tu souris encore. Tu souriais souvent. Parfois tes sourires étaient différents. Parfois, c'était quand Garfield était là. Quand tu n'avais rien à prouver, quand tu pouvais être toi. Alors tu te lèves, arrache une page de ton cahier sur laquelle ton esprit avait inscrit un seul mot. Tu plies la feuille en quatre et la laisses dans le creux de la main de Garfield.

Tu embrasses sa joue, remet le plaid à sa place, plié. Et tu retournes à l'étage, un sourire sur tes lèvres.

Merci.