▽ Be my  doctor.

Des armes. Des armes pas comme les autres. Des armes plus dangereuses que jamais. Des armes terrifiantes. C'était des arrosoir. Non non, ne vous affolez pas, pas tout de suite. Sur ces arrosoirs, il y avait.. Des têtes.. Pas n'importe quelles tête, non ! Des dessins de têtes de canards en plastique ! C'était effrayant ! Terriblement effrayant. Si terriblement que toi, tu te réveillas, paniquée de te faire attaquer par des arrosoirs, te levant d'un coup de ton lit, sans chercher plus loin. Ce n'était pas la première fois que tu prenais un de tes cauchemars au sérieux et que tu avais peur, mais là, tu battais des records. Tes pieds s'emmêlèrent dans ta couette et tu trébuchas, te mangeant royalement le sol, de plein fouet. Uniquement en chemise blanche et en culotte rose flash -ne vous fiez pas à la couleur, c'est de la dentelle- tu te relevas, ramassas ton cahier et sortit de ton dortoir, les filles ne tenant décidément pas à faire part de tes cauchemars un peu idiots. Après tout, elles avaient déjà eu du mal les premières années.

Tu étais alors là, jambes nues, pieds nus, bras nus, en dehors du dortoir, ton carnet à la main, te demandant si ce que tu allais faire était une bonne idée. Non. C'en était pas une. Mais tu avais très envie de l'appliquer malgré tout. Alors en souriant, tu partis discrètement vers le dortoir des garçons. Discrètement, parce que c'était sans doute la seule chose que tu arrivais à faire correctement, être discrète. Garfield. Tu le cherchas et une fois son lit trouvé, tu le regardas quelques secondes avant de grimper.. Sur lui. Oui oui, assise, sur lui. Tu passas ta main dans ses cheveux.

S'il le fallait pour le réveiller, tu le bousculerais un peu plus. Tu espérais juste qu'il ne faille pas le brusquer.

C'était sans doute le meilleur moment de la journée, la nuit. Le moment où on est bien au chaud sous sa couette, le visage enfoncé dans son oreiller. Garfield faisait un rêve parfaitement logique avec des champignons et des étoiles qui faisaient du kart. Encore la faute à Wesley, à force de parler jeux, il venait à en rêver. M'enfin bon, c'était mieux qu'un cauchemar, même si c'était frustrant.

Il observait la course bien peinard sur les gradins en buvant un coca – ce que ça lui manquait, ce truc-là, aussi – quand il se sentit soudain oppressé. De l'orage ? Le rêve se dissipa, en laissant une impression tellement nette qu'il eut du mal à reprendre contact avec la réalité. Ladite réalité prenant d'abord la sensation d'une pression dans son dos et d'une certaine humidité sur son oreiller. Oh tiens, de la bave. Il tourna la tête lentement, comme dans un film d'horreur, pour voir quel monstre l'avait assailli.

Jodie.
Wait, what ?

A moitié dans le pâté, il rampa pour se dégager, heureusement en ne l'envoyant pas valser par terre – mais tout juste – pour pouvoir s'asseoir en tailleur face à elle, parce que c'était déjà vachement moins compromettant si quelqu'un se réveillait. Qu'est-ce que c'était que cette manie de s'asseoir sur les gens ? Et en plein milieu du dortoir. Il ne se ferait pas avoir deux fois, c'était pas un rêve. Alors il attrapa ses lunettes, qu'il mit un peu de travers, et sa baguette magique.

« Lumos. », chuchota-t-il, « Il se passe quoi ? »

Pas encore un truc où il fallait parcourir la moitié de Poudlard en pyjama à pas d'heures pour ouvrir une porte, par pitié. Elle allait expliquer le problème, et retourner se coucher. Voilà. Pas la peine de paniquer, vraiment. Il pouvait se détendre. Et étudier ce pyjama inconnu de lui. Euh, non. Concentration, on ne fait pas de connerie cette fois.

▽ Be my  doctor.

Tu plisses les yeux à la lumière, le temps de t'y habituer. Doucement tes paupières se relèvent tandis que ta main passe sur ta jambe, un tic qui t'avait pris, sûrement à cause de la gêne. Tu penches la tête, retrousses tes lèvres, le regardes. Tu le regardais toujours différemment des autres. Tu le regardais toujours différemment parce qu'il était différent. Tu esquissas un sourire et passa ta langue sur ton palais, hésitante. Tu serres doucement ton cahier et l'ouvre. Les lettres n'étaient plus roses. Mais ça s'en rapprochait. Un peu.

J'ai fait un cauchemar.

Déjà, rien que ça, ça s'annonçait très mal pour lui. La dernière fois que tu avais fait un cauchemar, tu l'avais emporté avec toi jusqu'au septième étage alors que, rappelons-le, vous étiez aux sous-sols. Sauf que personne ne t'avait donné de mission pour sauver ta vie, dans ce cauchemar-ci. Ton regard croisa la sien pendant que tes doigts continuaient à voyager sur ta cuisse.

J'arrivais plus à me rendormir et quand je suis tombée de mon lit, une des filles m'a dit que soit je dormais, soit je sortais. Alors je suis sortie. Puisque je ne savais pas dormir.

Décidément, tu comprenais toujours tout de travers. Ou en tous cas, tu prenais toujours tout au pied de la lettre.

D'aaaaaccord. Un cauchemar. Mais qu'est-ce qu'elle faisait avec sa main ? Nope. Nope. Regarder le carnet. Voilà. Le carnet, c'est très bien. Brave garçon. Cette fille venait avec un carnet, et c'était à la fois une malédiction, parce qu'elle ne pouvait pas émettre le moindre son, et un miracle, parce qu'il ne savait pas trop ce qu'il aurait regardé s'il n'y avait pas eu les jolies lettres roses. Elle était tombée de son lit. Il hocha la tête, ça il pouvait comprendre, il tombait tout le temps de son lit. Comme de tout, d'ailleurs. Garfield n'aurait pas aimé qu'on compte le temps qu'il avait passé par terre dans sa vie.

Par contre, sa voisine de dortoir était très clairement une emmerdeuse. D'accord, c'est chiant, quelqu'un qui se retourne dans tous les sens pour essayer de dormir, mais il doutait qu'on puisse dire de Jodie qu'elle fasse vraiment trop de bruit. Lui, il faisait du potin pour quatre quand il dormait, et on ne l'avait encore jamais foutu à la porte. Enfin, sauf quand il avait dû squatter le dortoir des Serdaigles à cause de l'inondation et qu'il s'était retrouvé à pioncer comme Cendrillon devant la cheminée. Bref. De toutes façons, les Serdaigles étaient soit bizarres soit insupportables.

« Ok, je vois. »

Il sourit gentiment, parce que c'était pas un truc comme la dernière fois. Merlin est parfois compatissant. Il se leva et enfila l'éternel pantalon de jogging plié au bout du lit. Plié, pas roulé en boule ? Encore un coup de Wes. Un truc qui était roulé en boule, par contre, c'était l'espèce de pull informe à côté de son oreiller. Une boule de tissu bien compacte pour éviter que tout le dortoir croie qu'il dormait avec une veilleuse rose. Pauvre Jodie Licorne, condamnée à se planquer pour préserver l'honneur de Garfield. Bizarrement, ça faisait encore un parallèle avec la réalité, quand on voyait les choses comme ça.

« Bon allez, viens. Ce sera plus facile de discuter en bas. »

Lui prenant la main, il la fit lever et l'entraîna vers la salle commune. Pour pouvoir parler à voix haute, certes, mais aussi... Lorsqu'ils furent dans la salle commune, il s'assit dans un fauteuil une place, et tapota le siège de l'autre fauteuil une place qui se trouvait juste à côté. Ouais, alors qu'il y avait facilement quatre sofas dans la pièce. Et pour être vraiment, vraiment bien sûr qu'elle ne fasse pas comme d'habitude – Merlin sauvez-le, c'était une habitude – en s'installant sur lui, il remonta les pieds sur le fauteuil, une jambe posée comme s'il était assis en tailleur et l'autre plus droite, le genou presque contre son torse. Voilà. Il devait avoir fait tout ce qui était possible pour être gentil ET pour limiter toutes les possibilités de dérapage de la situation. Tu gères, Andersem, tu gères.

« Donc. Explique-moi ce cauchemar, si tu veux ? En parler ça t'aidera peut-être à te rendormir après ? »

Il faisait bon dans la salle commune, avec le feu qui brûlait toujours, seul éclairage de l'endroit. Garfield bailla, sans pouvoir se retenir. C'était le milieu de la nuit, et cette chaleur était agréable.

Il te prend la main. Tu la lui serres, doucement. Tu souris, même s'il ne pouvait le voir. Un fin et délicieux sourire dont tu ne te cachais pas, pourtant. Avec Garfield, c'était différent, parce que lorsqu'il te prenait la main, tu étais heureuse. Lorsqu'il te regardait, tu étais heureuse et lorsqu'il te souriait, ça te rendait joyeuse. Parce que tu avais l'impression d'y être pour quelque chose et ça, c'était magique. Doucement tu descends et malgré tes jambes dénudées, tu n'avais pas froid. Ne rêvez pas, ce n'était pas parce que Garfield était là, c'était juste parce que la salle était bien réchauffée.

Il s'installe sur le fauteuil et tu le regardes. Tu aurais bien voulu t'installer sur ses genoux mais lui ne voulait pas te laisser la place, décidément. Tu gonfles les joues, regardes l'autre fauteuil. Tu t'y installes, un peu déçue. C'était confortable, les genoux de Garfield.. Tant pis. Tu t'installes dans le fauteuil à côté de lui, mets ton dos contre l'accoudoir à l'opposé de l'autre Poufsouffle que tu observais simplement. Tu relèves les genoux contre ta poitrine, ne te rends même pas compte la vue plus qu'agréable que tu lui offrais vers ta culotte. Si tu n'avais pas été aussi bête et innocente, tu aurais pu le faire exprès. Tu relèves un peu le cahier devant tes genoux. Les courbes roses y apparaissent.

C'est un peu bête, c'est un cauchemar. Avec des arrosoirs et des canards.. En fait c'était vraiment stupide. Des trucs de moldus, sans doute.. C'était rigolo, au début, j'aime bien les objets moldus mais ça a commencé à me faire peur. Non c'est vraiment trop bête, en fait.

Tu clignes des yeux et le regarde.

Tu me racontes ? Quand tu étais dans le monde des moldus, il se passait quoi dans ta vie ? Pour me changer les idées, c'est bien, non ?

Jodie s'était installée dans le fauteuil d'un côté. Un point pour Garfield, un. Bon, par contre, vu comment elle était assise... Un point pour Jodie, un.

Il s'efforça de ne pas regarder, et si elle avait pu parler, il aurait porté les yeux vers la cheminée, un truc comme ça, pour avoir l'air badass à se perdre dans la contemplation du feu comme un vieux sage. Et puis en fait non, il devait regarder le carnet, comme un panneau d'affichage des pensées de la jeune fille, et ledit carnet était juste devant ses genoux. Malédiction.

Enfin, au moins, il y avait une distance respectable, et n'importe qui entrant dans la salle commune ne pouvait y voir qu'une discussion parfaitement normale, il avait même une excuse pour regarder vers le bas. Non pas qu'il allait en profiter, non non. Mais ce rose attirait l'oeil, tout de même. Le rose de l'écriture, tout à fait. Pas le rose de la culotte. Il ne savait même pas que cette culotte était rose, tout le monde y croit. Surtout avec ses joues qui s'enflammaient... ça, par contre, c'était un peu moins discret.

Son cauchemar, c'était des arrosoirs et des canards. L'idée fit sourire Garfield, même s'il essayait vraiment de ne pas se moquer. Enfin bon, elle se rendait compte elle-même que c'était un peu bête.

« C'est... mignon. »

Encore une fois, c'était vrai. Mignon allait devenir le nom de code pour « c'est bête mais bon, ça vient de toi, alors ça l'est pas tant que ça ». Sa question par contre le prenait un peu au dépourvu. Raconter ? Au moins, il penserait à autre chose.

« Ouais, si tu veux. Y a que mon père qui est moldu, mais il envahit la maison avec plein de trucs, histoire qu'on soit pas « juste » des sorciers, comme il dit. De coup, on consomme pas mal d'appareils moldus, parce qu'ils fonctionne tant qu'y en a pas un qui pète un plomb avec sa magie et qui le grille. Mon frère et ma soeur sont sorciers aussi, donc avec ma mère ça fait quatre chances sur cinq pour une catastrophe, même si mon frère est parti au bout du monde, c'est arrivé jusqu'ici, disons... Une fois par an, où y a un truc qui explose vraiment. » La catastrophe, c'était souvent Garfield. Mais bon. « Enfin mon père répare, il insiste. Du coup, on a une télé, un ordinateur, des appareils de cuisine, tous les trucs à l'électricité. J'suis pas sûr qu'on ait un arrosoir, par contre, et un canard je suis sûr que non. Une maison comme les moldus, ça permet d'avoir des amis moldus, c'est pas plus mal, ça aide à être au courant de ce qui se passe dans les deux mondes plutôt que de devoir se planquer, mais faut faire gaffe à ce qu'on fait. Y a une pièce 'magique' dans le grenier qui fait toute la longueur de la maison, où on range les balais, les chaudrons, les robes, enfin tout ça quoi. »

Avec un niveau magique plutôt faible, Garfield était assez à l'abri pour ce qui était de se trahir. A part en cas de grosse, grosse colère.

« Sinon bah, mon frère a eu du bol, et ma soeur et moi on a hérité de prénoms débiles pour nous rappeler 'l'héritage moldu' du paternel, c'est une super bonne blague. Je sais pas trop quoi te raconter, en fait. J'ai une famille bizarre, parce que c'est un gros mélange de trucs improbables. »

Il bailla, encore. Il était vachement tard, ou tôt, il savait pas trop. Il regarda l'horloge de la salle commune... Quatre heures. Il soupira, passant une main dans ses cheveux, et se pelotonna plus confortablement dans son fauteuil.

Tu semblais pensive. Ton joli sourire avait fané mais une esquisse de celui-ci demeurait encore sur ton visage. Tu n'étais pas triste, juste observatrice d'un spectacle que tu écoutais sans voir. Toi, tu ne connaissais rien de la vie avec des moldus, ton père n'était presque jamais là et vous aviez toujours vécu isolées du reste du monde, toi et ta sœur. Si tu connaissais quelques trucs, tu n'en restais pas moins une inconnue à ce monde étrange qui te fascinait pourtant tant. En même temps, ça te faisait peur. Parce que tout ce que tu ne connaissais pas t'effrayait, en réalité. Tu n'en écris rien, reste muette, autant de ta voix que de tes lettres. Tu l'observes un moment, ne semblant pas vraiment le voir mais plutôt te perdre dans tes pensées. On aurait presque pu croire que tu n'étais plus là. Sauf que tu l'écoutais, attentivement. Tu resserres ton étreinte contre ton carnet et les lettres y apparaissent.

Garfield c'est bien, pourtant, comme nom. J'aime bien.

Tu n'avais aucune idée d'où ça venait. Tu trouvais ça juste joli. Sûrement parce que tu l'avais associé à ce qu'il était, finalement. Mais du coup, tu aimais bien ce nom. Et peut-être que si un jour tu en ouvrais la bande dessinée très connue, tu changerais d'avis.. Ou ne ferais qu'approuver plus encore ton opinion. Tu clignes des yeux et semble enfin le regarder, souriant, des petites fossettes apparaissant sur tes joues roses. Roses ? Oh, t'avais repris tes couleurs. Malgré qu'autour, tu étais pâle. Après tout, se réveiller à quatre heures, c'était pas la meilleure idée pour avoir de jolies couleurs. Tu passes tes doigts sur le bout de tes cheveux, passant une mèche rose devant ton épaule, jusqu'à ta poitrine. Heureusement, la chemise était assez boutonnée pour que ça ne fasse pas décolleté. Tu remuas doucement des orteils.

Ça veut dire que tu avais des amis moldus ? Est-ce qu'ils sont comme nous ? Enfin, sans magie, bien sûr. Quand j'étais enfant, je jouais avec la neige. Eux aussi, ils font ça ?

Encore une fois, elle était mignonne. Elle ne devait sans doute pas connaître le truc auquel tous les moldus de leur âge pensaient en entendant ce prénom stupide. Il ne comptait plus le nombre de fois où on lui avait proposé de la lasagne.

Il remarquait, avec une acuité qui ne lui ressemblait pas, les joues rosies, l'endroit vers lequel pointaient les jolies mèches roses, et il rougit un peu plus, papillonnant des yeux pour les obliger à retourner sur le carnet. Jodie allait finir par croire qu'il avait des tics, à force. Sa question le fit sourire.

« Bah, c'est un peu paumé chez moi, fin fond de l'Écosse, mais ouais. Quelques uns. Ils sont comme nous, je dirais même plus, je sais pas trop, volontaires. Quand ils veulent un truc ils peuvent pas faire un accio, ça aide à se creuser la tête. Et ils sont un peu plus prudents. »

La neige... Par chez lui, il y en avait souvent, mais il n'aimait pas trop ça, depuis que les températures hivernales lui avaient cassé une jambe... Sans magie, il serait une espèce de puzzle mutant, en fait.

« Ils font ça aussi, comme jouer à n'importe quoi qui n'a pas besoin de magie. Moi j'aime pas trop, ça glisse à mort, la neige. Et chez toi, c'est comment ? Tu vis où quand t'es pas à Poudlard ? »

Si on exceptait une certaine tension dans l'air, c'était une discussion plutôt normale, en fin de compte. Garfield s'étira pour essayer de faire disparaître cette impression pesante, de se détendre. Il passa les jambes au dessus de l'accoudoir de son fauteuil, s'adossant de l'autre côté, c'était plus confortable que d'être recroquevillé sans pour autant laisser plus de place. Il était un rien sur ses gardes, mais il essayait de ne pas le montrer.

▽ Be my doctor.

Chez toi. Chez toi. Chez toi c'était nul. Parce que ta mère était toujours trop occupée dans sa chambre avec des gens que tu ne connaissais pas, ta grande sœur avait le chic de te détester et t'enfoncer et ton père, le seul qui semblait te regarder un peu, n'était jamais là. En fait tu avais toujours été invisible, même quand tu avais ta voix. Tu baissas les yeux, un doux sourire sur ton visage, malgré la tristesse qu'il exprimait. Tu te mords doucement la lèvre tandis que tu fais apparaître les lettres sur le papier.

Je n'aime pas rentrer chez moi. Parce que là bas, encore plus qu'ici, on ne me voit pas. J'ai pas d'amis et en plus il faut que ma sœur me déteste. Ma mère est toujours dans sa chambre avec chaque fois un monsieur différent et elle demande qu'on ne soit pas là. Mon père, lui, il rentre tard le soir, quand tout le monde dort.. Alors que c'est le seul qui m'aime.

Tu lèves les yeux vers Garfield et perd ton air triste, retrouvant ta joie habituelle. Alors que les prochaines lettres n'étaient ni plus tristes, ni plus joyeuses que celles d'avant. Tu les acceptais, c'est tout. Parce que tu étais heureuse, même dans les situations qui ne l'étaient pas elles-mêmes.

Ma maison est grande ! Mais elle est trop isolée et je n'ai pas l'occasion d'inviter d'amis pour partager de l'espace qu'on a. On a un grand jardin aussi. Mon père et moi on élevait des moutons mais ils ont fini par mourir et on a pas eu de portées de la femelle. Alors on a décidé d'arrêter l'élevage.

Tu te mets accroupie sur le fauteuil. Au moins comme ça, il ne voyait plus ta culotte.. En contre-partie, il avait une jolie vue sur ta chemise qui tombait. Tu souris, complètement inconsciente, et finalement heureuse de pouvoir en parler à quelqu'un. Ou en tous cas de l'écrire. Tu avais des paillettes dans les yeux, encore.

Un jour tu viendras jouer dans la neige avec moi ?

Garfield soupira discrètement. Apparemment, sa question n'était pas super bien choisie pour changer les idées de Jodie, alors qu'il ne faisait que lui retourner celle qu'elle lui avait posée. C'était un peu triste, comme histoire, et il ne comprenait pas trop comment on pouvait détester la jeune fille, sa soeur était une andouille, voilà. Par contre, sa mère, il n'allait pas jeter la pierre. Parce que voilà, hein.

Au moins, elle aimait parler de sa maison, plutôt que des gens dedans. Un grand jardin, des moutons... Il eut un sourire un peu moqueur en l'imaginant patauger dans la boue pour aller nourrir les bestioles. Chez lui, les troupeaux de moutons, c'était une véritable plaie.

Jodie bougea, et ses yeux le trahirent encore, alors qu'il la fixait par dessus le carnet, la bouche entrouverte. Sérieusement, il fallait que ça s'arrête. Il essaya de secouer la tête pour se remettre le cerveau à la bonne place. Manque de bol, quand il baissa les yeux, les mots étaient presque effacés, illisibles.

« Euh. Tu peux répéter, s'il te plaît ? J'ai pas vu... »

Même si elle avait parlé à voix haute, il aurait probablement zappé, en fait. Il avait parlé d'un air plutôt absent.

▽ Be my  doctor.

Il n'avait pas pu lire ? Tu n'allais pas si vite, pourtant. Tu baisses les yeux. Finalement, tes neurones avaient fini par fonctionner, puisque tu reboutonnas ta chemise pour qu'elle ne tombe plus. Il était temps que tu te rendes compte de l'effet que tu faisais, quand même. Et en même temps, ce n'était pas déplaisant. Pas parce que tu aimais qu'on regarde sous tes vêtements.. Juste parce qu'il en était gêné. Et ça t'avait arraché un énième sourire.  

Je te demandais si tu viendrais jouer dans la neige avec moi, un jour.

Tu clignes plusieurs fois des yeux. Oh. D'accord. Tu te penches vers lui, escalade un peu les fauteuils. Tu prends appui d'une main sur sa cuisse avant de passer ton doigt sur ses lèvres. C'était encore mouillé de sa bave. Tu te remets dans ton fauteuil, essuie ton doigt sur la manche de ta chemise, un sourire amusé sur les lèvres.

Même si la neige, elle est déjà passée. La prochaine fois qu'elle sera là, c'est bien aussi.

Ah. Ce coup-ci, il avait capté. Jouer dans la neige ? Avec le temps radieux qu'il faisait dehors en ce début de printemps, il ne s'engageait pas pour grand chose, là tout de suite. Il répondit un peu distraitement, en suivant des yeux le trajet des jolies petites mains qui refaisaient les boutons de la chemise.

« Euh ouais, faudra que tu me le rappelles quand y neig... »

Garfield s'était arrêté en plein milieu de sa phrase, parce que Jodie se rapprochait, et que c'était ALERTE ROOOSE... ROUUUUGE, pardon, dans sa tête. Elle passa un doigt sur ses lèvres, penchée au dessus de lui... Et elle recula.

Il n'avait même pas capté qu'il avait arrêté de respirer. C'était un peu pathétique, au final il commençait à ressembler à un lapin dans les phares d'une voiture. Un lapin tout rouge, plaqué sur le fond d'un fauteuil comme s'il voulait disparaître dans le coussin. Il se redressa immédiatement en toussant un peu pour se donner l'air normal. Bien sûr, l'air normal... Très facile.

« Oui, voilà, la prochaine fois. »

Il tourna un peu la tête vers le feu, pour regarder ailleurs, et prit une grande inspiration. C'était bizarre, parce que si on ne faisait qu'écouter, il parlait tout seul, mais il avait l'impression que le silence devenait pesant. Il essaya de trouver quelque chose à dire, histoire de meubler.

« Tu te sens mieux maintenant ? »

▽ Be my  doctor.

Il rougissait. Il était gêné ? Pourquoi ? Dans ta tête, tu n'avais fait qu'essuyer une trace de sa nuit incomplète. Tu penchas la tête, l'observant, simplement. Tu ne comprenais pas. Tu n'avais rien fait, là, si ? Ou alors est-ce que c'était méchant ? Il n'y avait pas l'air en colère. Alors c'était gentil mais il pensait à autre chose ? A quoi ? Tu entre-ouvres la bouche, tes yeux passant sur lui, sur ses yeux. Tu suis la direction du regard. Le feu. Le feu. Tu clignes des paupières et tourne à nouveau la tête vers Garfield. S'il ne te regardait pas, il allait avoir du mal à te lire..  

Tu as chaud ?

Tu n'avais pas répondu à sa question. Tu allais mieux et le simple fait que tu n'en parles pas confirmait la question. Tu lui souris et regarde l'horloge. En fait tu l'empêchais de dormir. Peut-être que c'était pour ça qu'il était gêné ? Parce qu'il voulait partir et qu'il osait pas te le dire ? Tu le regardes un instant.. Tu n'avais pas envie qu'il parte, c'est vrai. Mais tu ne voulais pas non plus l'obliger à rester. Tu ne lui poserais pas la question, trop dangereux.

Sois pas malade à cause de moi, d'accord ? Si tu veux il y a des couvertures, pour pas que tu attrapes froid..

Garfield avait tourné la tête à nouveau juste à temps pour voir les mots avant qu'ils ne s'effacent. Qu'est-ce que c'était que cette question encore ? Il avala sa salive de travers et se mit à tousser, quasiment à cracher ses poumons, avant que les phrases suivantes n'apparaissent.

... Ah.

Ok, il était peut-être temps qu'il aille se recoucher, en fait, s'il disjonctait à ce point-là. Il répondit lorsqu'il arrêta enfin de s'étouffer, le souffle un peu court.

« Pardon. Non mais ça va, j'ai pas froid. »

Cette situation était de plus en plus bizarre, gênante, et il ne savait pas trop quoi faire de ça, de cette situation. Ce serait plus facile si à chaque fois qu'ils se croisaient ils ne se retrouvaient pas tout seuls, mais il pouvait comprendre d'une certaine manière que Jodie ait besoin de plus calme qu'un groupe pour se faire 'entendre'.

« Toi par contre tu dois te les cailler, vu ce. » Pyjama. « Non rien. Attends. »

La couverture, c'était peut-être pas une si mauvaise idée, s'il réfléchissait un tout petit peu. Plein de confort, et juste une tête, des bras et un carnet à regarder. Encore un point pour Fifi. Tellement fourbe sous le couvert d'être gentil. Il se leva, et alla chercher un plaid sur le tas dans un coin. Il ne savait pas pour les autres, mais la salle commune de Poufsouffle était cosy, c'était la plus grande de ses qualités. Revenant près des fauteuils, il ouvrit le plaid pour le déposer sur Jodie.

« Voilà. Tout confort. »

Bon, ça impliquait de se pencher sur elle. Mais après ce serait beaucoup, beaucoup plus sûr dans la zone.

▽ Be my  doctor.

Il s'approche. Tu le regardes. Ton sourire disparaît, tes joues roses demeurent roses. Ta bouche reste entre-ouverte. Pourquoi était-ce différent ? Encore, c'était différent. Pourquoi tu ne pouvais pas juste l'aimer comme tu aimais tout le monde ? Pourquoi est-ce que ce geste avait été plus agréable que si ça avait été quelqu'un d'autre ? Tu ravales ta salive. Tu baisses les yeux. Ton cœur bat. Dans un soupire, un éclat de voix te fait frémir. Le tien ? Impossible. Ça devait sûrement être le sifflement de ton souffle. Tu regardes au sol. De la gêne ? Dans un mouvement de grâce, tu relèves les yeux vers lui, tes cils suivant le mouvement. Tu lui prends le poignet, hésitante. Est-ce que tu devais vraiment l'empêcher d'aller s'asseoir ? De toutes façons tu le faisais déjà.

Tu ravales ta salive. Tu avais oublié. Tu oubliais souvent. Tu croyais pouvoir parler. Ta voix ne sortit pas. Tu rentres tes lèvres, retombant sur terre, tu brisais tes neurones, encore une fois. Ta voix. Ta douce voix. Pourquoi était-elle partie ? Pourquoi t'avait-elle abandonnée ? Tu restes alors silencieuse, le regardant. Il ne comprenait sans doute rien, mais tu maintenais son regard, parce que tu étais obligée. Parce que tu devais le regarder. Sans ça, sans doute te serais-tu effondrée. Tu serres un peu son poignet. Tu descends ta main et attrape la sienne. Tu es paniquée.

Ta voix. Elle devait revenir. Elle devait revenir. Vraiment. Tu passes ta langue sur ton palais et ravales ta salive. Encore une fois. Tu lâches ton carnet. Tu te lèves. Tu lui serres la main, tu avances un peu. Tu te retournes vers lui, tu souris. Non. C'était faux. Tu perds ton sourire. Tu pleures et lorsque les premières larmes coulent, tu l'attires vers toi et l'enlaces. Tu ne pouvais pas faire semblant d'avoir oublié, tu ne pouvais pas faire semblant d'avoir toujours été comme ça, tu ne pouvais pas faire semblant que rien n'avait existé. Tu ne pouvais pas. Pourquoi c'était lui, qui te rappelait ça ?

Le carnet avait décidé de ne plus t'obéir. Encore. En plus, il avait pris une teinte bleue, cette fois.

Pardon.