Les cris de la foule hantaient encore son sommeil, s’insinuait jusque dans ses rêveries éveillées et rencontrait inéluctablement son esprit dès qu’il se mettait un instant à errer. Où qu’il soit, quoi qu’il fasse, il était sans cesse attaqué par un embrassement si vif qu’il lui prenait littéralement la tête. Comme si sa propre mémoire ne suffisait pas, Jacobina prétendait depuis le tournoi fatidique qu’elle n’était pas sa sœur et que sa mère lui rappelait sans faute que ça n’était pas si grave que cela, à la seconde même où le souvenir de sa défaite lui laissait enfin un peu de répit.

Ça durait depuis des jours.

Congé forcé, voilà ce qui avait été le verdict lorsque sa mère l’avait retrouvé étalé de tout son long sur le pas de la porte, endormit après avoir trébuché sur ses propres pieds. Sa défaite cuisante et l’angoisse occasionnée avait l’unique avantage d’avoir permis à l’instinct maternel de vaincre –momentanément- les rancœurs suite à l’épisode de la moto d’April qui faisait encore jaser le voisinage. Mais Jaromir devait l’admettre : bien qu’il s’était fervemment opposé à l’idée de ne pas aller au Ministère, pour la première fois depuis des années, être à la maison avait quelque chose de réconfortant. Pas d’inventeurs fous à raisonner, pas de paperasse à trier et toutes les rencontres infortunées étaient d’ores et déjà évitées sans le moindre effort. Sans parler de la liberté de flâner dans la maison emmitouflé dans une couverture en patchwork, pantoufle au pied et tasse de tisane incongrument grande en main. Il se laissa presque à croire qu’il se sentait enfin chez lui entre ses murs et s’étonnait qu’il eut fallu arriver à un tel épuisement pour qu’il enterre enfin la hache de guerre avec cette ville humide.

La sonnette qui, en temps normal, l’aurait fait sursauter, lui fit à peine lever le nez du son volume fraîchement acquis de ‘La Philosophie du matérialiste : pourquoi les Moldus préfèrent ne rien savoir’, bien entendu toujours dissimulé derrière un quelconque autre volume. Rien aujourd’hui ne pourrait vaincre le sorcier ayant tout juste récupéré ses heures de sommeil, à des années lumières d’un quelconque autre soucis que choisir quand piquer à nouveau un somme et quand aller remplir sa tasse. Rien, absolument rien, ne pouvait atteindre cette sérénité fraîchement atteinte, cette impression d’avoir enfin surmonté le cap difficile de la trentaine et le désenchantement des rêves abandonnés, le plaisir retrouvé dans les petites choses.

Rien ?

Toutes les couvertures amoureusement assemblées par la plus généreuse mamie slave n’auraient pu empêcher son sang de se glacer et la chaire de poule de se répandre sur le moindre centimètre de son épiderme en entendant le mot, ou plutôt nom, ‘Solus’. Solus, imprimé en lettre capitale sur son cerveau. Solus, tonnant de la même voix terrifiante depuis les gradins. Solus, sa majesté couverte de honte après sa défaite au tournoi. Son Altesse royale.
L’ambassadeur avait pris ses aises dans sa tête, lui faisant glisser sa tasse des doigts et bondir hors de l’immense fauteuil, critiquant d’ores et déjà son accoutrement loin d’être présentable en croisant son reflet sans le miroir. Si Jaromir était déjà la crème de la médiocrité humaine à l’habitué, il représentait à cet instant qu’un vieux lait caillé abandonné dans une vieille casserole, une proie facile à la victimisation. Gravissant les marches quatre à quatre en se cognant dans tous les angles, sans louper bien entendu ses orteils mal protégé par les pantoufles moelleuses, il s’habilla en un temps record –voilà une chose qu’il arriverait peut-être à gagner, si l’on faisait des tournois d’habillage-, manqua de se tuer en sautant en bas des escaliers et sprinta vers la porte, plus qu’à bout de souffle, débraillé et les cheveux hérissés de façon menaçante dans toutes les directions.

La seule chose qui lui brûlait la gorge en ouvrant la porte était un long, péniblement gémis ‘Pourquoooii’, mais il se retint de commencer un mélodrame et de se jeter à genoux devant l’ambassadeur en pleurant. Difficilement, mais il y arriva.

- Vous, ici.

Sa tentative de feindre la surprise fut bien entendu un échec total et cuisant, comme tout ce qu’il avait entrepris jusque là dans sa vie, mais il n’avait pas encore craqué. Pas encore.

- Vous, heu, désirez entrer ? Boire quelque chose, peut-être ?

Croiser les doigts pour que son altesse lui réponde qu’il était hors de question qu’il mette un seul orteil royal dans sa maison de sorcier ne servait à rien, mais derrière son sourire crispé au possible, il espérait réellement que Solus tourne ses talons et retourne d’où il venait. Loin, loin de lui, en le laissant tout seul avec les cicatrices de ce très bref échange qui le hanterait encore et toujours avec le sentiment de ne pas être en sécurité dans sa propre maison. De ne jamais être en sécurité dans ce maudit Londres.

- Quelle visite inattendue, vous m’avez certainement pris de court, votre Altesse.

Ses yeux commençaient déjà à brûler et sa lèvre à trembloter, mais son sourire tordu tenait bon.

HRP:

- Mettre fin… A mes jours ?

Répéter ces mots ne leur donnèrent pas plus de sens. Non, en réalité, ils en perdirent encore, et le visage de Jaromir se déconfit à la simple évocation de ce destin funeste. Oh, il avait été mortifié de sa défaite honteuse et avait eu envie de mourir, mais seulement métaphoriquement : passer à l’acte ne lui serait jamais passer à l’esprit, pas-même un songe furtif allant dans cette direction. Faire ses valises et fuir durant la nuit pour retourner en Roumanie, oui, on pouvait considérer cela comme une mort sociale puisqu’étant une disparition soudaine, mais réellement passer l’arme à gauche ? Le sorcier n’aurait jamais cru possible de pouvoir frissonner de terreur en regardant une boîte de chocolat fraichement offerte –pour le dissuader de mettre fin à ses jours-, même par sa Majesté. Mais aussi soudainement que l’arrivée de Solus, l’amorce de sa réflexion sur la fragilité d’une vie humaine fut chassée, remplacée par un pic en plein ego. Une zone censée être inatteignable chez lui, car inexistante, mais cette fois, juste cette fois, après ces foutus histoires de tournois et ces journées de déprimes profonde, la remise en question de ses talents en sortilège lui fit tourner le sang. Ni une ni deux, il se dirigea à grands pas vers le champ de bataille abandonné qu’était son salon, ne se laissa pas abattre par la triste vue de sa tasse préférée éclatée sur le sol et saisit sa baguette pour jeter un Failamalle haut et fort sur la pièce. Rapidement et méthodiquement, les piles de livres vertigineuses reprirent leurs places alphabétiques dans les bibliothèque, les cousins sur les sièges, le patchwork plié en deux sur le dossier du canapé et les fragments de tasse dansèrent juste sous le nez pour rejoindre la poubelle. Le sorcier se retourna vers l’ambassadeur, tout fier de lui, mais surtout triomphant, assez pour s’oublier et répondre un sarcastique « Evidemment. ». Du menu fretin pour les vrais effrontés, mais pour Jaromir, ça relevait de la plus grande des insolences, et il ne le regrettait presque pas après coup. Enfin, non, il le regretta beaucoup, amèrement et tenta de se faire le plus petit possible et de changer le sujet.

- Je vous aurais cédé le fauteuil mais… Le rapide coup d’œil à la flaque de thé dégoulinant dudit fauteuil parlait de lui-même. Mais cela donnait tout juste plus de raison à l’ambassadeur de s’énerver, il fallait fuir au plus vite, et avec un bon prétexte. Un thé froid et une bassine- Oui-- Prenez seulement vos aises.

‘comme si ça n’était pas déjà fait’, lui souffla sa propre conscience. Le noiraud remonta les marches quatre à quatre, sans se manger tous les coins cette fois, puis les descendit une à une en essayant d’éclabousser le moins d’eau possible, ce qui ne l’empêcha pas de laisser une trainée humide digne d’un être des eaux derrière lui. A peine sortit de la torpeur, voilà qu’il se cassait le dos à descendre une bassine pour son altesse, avant d’aller lui faire son thé aussitôt déposée –non sans glisser sur la flaque dans l’entrée au passage et manquer de tomber en poussant un glapissement aigu-. Si quelqu’un méritait un verre de thé glacé, c’était le larbin, pas le tyran despotique : rien que pour son sortilège brillamment exécuté ! Mais il avait usé sa réserve d’effronterie pour les mois à venir et du bien se résoudre à apporter le pichet avant que sa Majesté ne meurt de soif.

- Je n’avais pas d’algue, que de la menthe.

Il ne savait pas où se mettre, ou si seulement il devait se mettre où que ce soit, alors il se contenta de rester planté debout, réfléchissant à un sortilège rafraichissant moins brutal qu’un glacius, mais tout aussi efficace. Au bout du compte, il se contenta d’attraper l’éventail de sa mère sur le guéridon et de le tendre à son Altesse.

- Alors, vous… Êtes venu juste pour vous assurer que je n’étais pas mort ?

Pas de coup d’état derrière les écailles ? Ni d’ennui profond ? Ni une envie passagère de gâcher sa douce et paisible journée ? Ni l’intention de mettre des algues sur SON bureau ? Ça semblait bien trop clément de la part de l’ambassadeur.

- J’avais si mauvaise mine l’autre jour ?

Les mots tournois et duel étaient bannis de la maison, on n’aurait osé prononcer son nom de peur d’invoquer le malheur à la nouveau, ou une crise de morosité aigue. En réalité, personne n’était censé parlé de ce jour, et cela aurait été bien mieux de ne pas le remettre sur le tapis.

HRP:

Alors que son Altesse monologuait sur sa mort –un sujet peu plaisant qui recommençait à lui donner la chaire de poule, sans parler de l’horrible mot ‘obsèques’ qui le fit grimacer de dégoût- le sorcier se remettait en course. C’était fort clément de la part de l’ambassadeur de s’engager d’ores et déjà à honorer sa mort, même s’il espérait encore vivre au moins… Une décennie ? Deux, si un chat de l’expédiait pas sous les roues du magicobus ? Plus encore, s’il ne se tuait pas en escaladant le plan de travail, agrippé à la poignée du placard qui menaçait de s’ouvrir avant que sa main libre n’arrive à attraper la bonbonnière ensorcelée pour décourager tout le foyer à y mettre les pattes -une très bonne initiative pour empêcher le grignotage, mais dangereuse lorsque l’on avait un maladroit dans le foyer.

Par on ne sait quel miracle –peut-être les effets de la bénédiction de sa Majesté, qu’elle lui apporte autres choses que des soucis-, Jaromir ressorti de son crapahutage aussi indemne que le bocal.

- Faire le mort ? S’indigna-t-il en passant devant l’escalier avant de revenir avec un coussin pour les fesses royales de son invité. Je suis allé au Ministère toute la semaine, c’est mon premier jour de congé en quinze ans de bon service !

Aurait-il du entretenir une correspondance quotidienne avec les êtres de l’eau pour assurer que non, il n’avait pas encore été tenté de sauter dans leur lac avec les poches pleines de pierre, ou qu’il ne s’était pas senti l’envie d’aller enlacer un saule cogneur ? Ça, c’était contre-productif, fort inutile et un gaspillage de papier. Enfin, le sorcier eut la sagesse de garder cela pour lui et d’ouvrir la bonbonnière pleine à craquer de croissant de lune et de bouchée de loukoum qui toussa un nuage de sucre glace. Des friandises ‘profondément ennuyeuse’ car n’ayant rien de sorcier, mais Jaromir n’aimait pas les surprises.

- Il peut y avoir du chocolat dans les cornulete, mais il y en a aussi au rhum, au citron, à la noix et aux raisins. Son doigt dansait au hasard au-dessus des croissants, tous profondément identique de l’extérieur. Son index pointa ensuite les petits cubes blancs. Là pas de risque.

Tenant toujours la bonbonnière d’une main –ce qui était une certaine prise de risque avec ses poignets malingres et le poids du contenant-, il attrapa le pichet et rempli le verre vide de l’ambassadeur.

- Et comment, d’après-vous, suis-je censé laver mon honneur ?

Est-ce le prince avait réellement une idée en tête ou est-ce qu’il se contentait de critiquer ? Pour sûr, toutes ses critiques n’avaient pas mauvais fond –il était vrai que l’éventail de sa mère était hideu, et que lui était parfois légèrement incompétent-, mais elle perdait vite en profondeur sans bon conseil. Si possible autre que d’étaler des algues sur les murs pour éloigner le mauvais sort.

- Ce ne sont même pas mes talents magiques qui m'ont fait perdre. C'était bien la première chose positive qu'il arrivait à sortir de cette défaite, au lieu de s'en lamenter. Je ne vais quand même pas provoquer un chat en duel, ça ne fait pas de duel, un chat !

HRP:

L’ambassadeur emporta à sa suite toute l’eau de la baignoire, s’épanchant en large gouille chaque fois que ses pieds royaux touchaient le sol, au grand dam de Jaromir qui songeait au vieux bois qui se gorgeait et ne tarderait pas à se déformer irrémédiablement. Aller, il ne fallait pas se lamenter sur si peu, et se concentrer sur le drame qu’il venait d’éviter. Ou canaliser toute son énergie pour s’empêcher d’éclater de rire en voyant son altesse se cogner la tête au plafond. Il serait fâcheux qu’il arrive à la conclusion que son sujet a définitivement perdu la tête.
La demande la lui remit entre les épaules avant même qu’elle ne tombe.

- Ma mère ?

Qui d’autre ? Ça n’était pas comme si la maison était habitée par un quelconque fantôme –bien heureusement, assez de choses le tourmentait ainsi-. Il souffla un  « Si vous insistez… » défaitiste et commença à descendre les marches à contrecœur, prenant garde de ne pas glisser sur l’eau laissée par son invité. Au pied de l’escalier, il se baissa pour ramasser la bonbonnière, heureusement intacte, contrairement à son contenu écrasé un peu partout sur le tapis. Sans la fine pellicule de poudre, Les morceaux de croissant auraient passé inaperçu au milieu de la broderie chargée, mais ils collèrent pareil à ses semelles en marchant à nouveau dessus.
Pas besoin de chercher la sorcière très longtemps : elle époussetait à grands gestes son éventail, penchée à la fenêtre, commençant à lui parler sans même s’être retournée à peine avaient-ils mis un pied dans le salon –un autre talent que le sorcier lui-même n’arrivait à se décider d’attribuer à la sorcellerie ou l’instinct maternel. Ce qui était sûr, c’est que l’ambassadeur, lui, était passé entre les goûtes de son radar, et qu’il la cloua sur place lorsqu’elle sortit de sa cachette, la tête levée vers cette montagne humide. Jaromir ouvrit la bouche, mais n’eut même pas le temps de sortir un son avant elle.

- Ai-je à faire au Prince Solus ? La femme, aussi que menue que son fils mais indéniablement plus grande –et sans compter la crinière tout aussi, si ce n’est plus, impressionnante que la sienne-, lui tendit sa petite main en secouant l’éventail –qui propageait encore des effluves sucrés dans l’aire. Mirela Minodora Bristow, enchantée d’enfin faire votre connaissance, depuis le temps que Jaromir-

Elle se tourna vers l’intéressé et fit la grimace en l’examinant. Depuis le temps qu’il se lamente en prononçant le nom Solus ? Depuis le temps qu’il chouine à la moindre mention de la royauté ? Qu’il perd le sommeil en craignant de croiser son éminence au Ministère ? La mine déconfite du sorcier, son pantalon recouvert de sucre glace et ses cheveux hérissés parlait d’eux-mêmes, mais elle servit tout de même le plus ravi des sourires à son Altesses en lui redonnant toute son attention.

- -nous fait votre éloge ! Vous êtes plus grand que ce que j’imaginais, presque autant que mon mari, et c’étaient une sacrée barrique- vous resterez bien pour souper ?

Toutes les gesticulations de Jaromir ne réussirent à faire passer son désespoir à cette idée, ni à faire comprendre à sa mère d’annuler au plus vite cette invitation. Il fut obligé de prendre les choses en mains, et ce genre de mission sollicite que l’on retrousse ses manches, ce qu’il fit prestement avant de se planter entre les deux, tout sourire forcé mais visiblement en détresse.

- Oh non maman, l’ambassadeur est une personne trèèès occupée à des affaires très royales et très importantes, c’est déjà extrêmement charitable de sa part d’avoir accordé un instant de sa journée à de simple sujet. On ne peut garder sa Majesté pour nous, comme vous l’avait si bien dit, votre Altesse.

Garder un minimum de sang froid pour ne pas se jeter pare terre et le suppliez de refuser demandait l’attention du moindre nerfs, dit nerfs qui avaient atteint leur limite à la seconde où il avait sauté hors du canapé pour aller ouvrir. Autant dire qu’il n’avait qu’envie d’attraper son Altesse et le secouer en pleurnichant, mais ça aurait été une très, très, trèèèès mauvaise idée.

Sa mère lui jeta un regard plein d’incompréhension, auquel il répondu d’un haussement d’épaule , qui fut lui-même interrompu par une soubresaut lorsque sa majesté lui toucha –encore- sa tête. Il voulu rétorquer quelque chose, mais la mention-même de sa défaite écrasante suffit à le ramener à son état de sujet obéissant. A l’exception que l’ambassadeur ne lui avait ni commandé ni permis de s’asseoir, et qu’il se laissa lourdement tomber sur le fauteuil encore humide, la tête entre ses mains. « Voyons, un peu de tenue. » lui chuchota sa mère en se penchant vers lui, mais le sorcier releva à peine le nez en sentant le papier froissé entre ses doigts. Il le déplia, écoutant d’une oreille distraite le Prince alors que ses yeux parcouraient le papier. Qu’irait il faire à la fête de Poudlard ? Ça semblait juste être l’occasion de maximiser les chances de croiser sa sœur.

- C’est une merveilleuse idée ! s’enquit sa mère avant même qu’il ne puisse protester ou, vraiment, emmagasiner toutes les informations. Et son ‘Quoi ?!’ en retard fut encore coupé d’un coup d’éventail sec sur le haut de sa tête, histoire d’empêcher toute autre protestation malheureuse. C’est un honneur que vous ayez seulement songé à mon fils,  il faudrait être inconscient pour refuser une telle invitation.

Le regard qu’elle lui glissa lui intimait de ne pas faire l’idiot, par la pire des tactiques : l’air qui crie ‘fais un effort, s’il te plaît’, pire encore que tous les regards inquisiteurs.  

- Le sept juillet, hein ?

Ses yeux étaient perdus sur la lettre, ce qui lui donnait une excuse –mauvaise, mais une excuse était une excuse- pour ne pas regarder son Altesse dans les yeux. Oh, quitte à y être traîné de force, il aurait encore préféré mourir de gêne en tentant d’inviter Mademoiselle Solomon. Ça lui aurait garanti une soirée agréable. Mais avec Solus ?
Il enfonça son visage dans le papier et gémissant de désespoir. Il voulait rester le restant de sa vie caché derrière le papier froisser à geindre comme un enfant, même si cela devait gêner sa mère qui tapotait avec insistance son dos, probablement en souriant à l’ambassadeur à défaut de savoir quoi faire.

- Bon, les courses ne vont pas se faire toute seule. Y aurait-il quelque chose qui vous ferez envie pour le menu, monsieur l’ambassadeur ?

Jaromir se trouvait toujours le nez dans la lettre et sentit la petite bottine de sa mère taper dans son pied, ce qui ne réussit toujours pas à le sortir de là. A vrai dire, même lorsque la porte d’entrée grinça à nouveau, il y était toujours, ses geignements s’étant transformé en un long et pénible ‘pourquoi moi’, adressé à personne d’autre que le destin.

Sentir la peau visqueuse de son Altesse lui avait toujours donné envie de hurler. Probablement parce que la sensation ressemblait à celle des limaces que Jacobina s’amusait à glisser dans le col de sa chemise lorsqu’il travaillait à son bureau, ou car elle lui rappelait un peu trop la façon dont ses vêtements glacés se collait à lui après avoir ramassé une averse glaciale typiquement britannique. Cette fois-ci, Jaromir failli bien exploser pour de bon. Le poids du bras sur ses épaules crispa le moindre de ses muscles et le redressa plus droit qu’un balais, les doigts serrant si fort la lettre que ses articulations en blanchissait visiblement malgré son teint blafard. Il ne bougea pas une oreille avant d’être libéré, condamné à arrêter de geindre pour écouter les jérémiades d’un poisson qui, en réalité, lui donnait envie de geindre encore plus fort pour couvrir le son, et aussi de se rouler en position fœtal sur le sol. Peut-être bien qu’une telle hystérie ferait changer son Altesse d’avis et qu’il n’aurait pas à se présenter au bal avec lui.

La lucidité lui revint comme l’oxygène à l’instant où il fut délesté de ce fardeau humide et où le fauteuil repris son équilibre sur ses quatre pieds. Même une telle situation critique ne le rabaisserait pas crisser comme un enfant voyons, il était tout de même plus fort que cela. Il ne s’était pas roulé en boule en pleurant depuis sa toute première année à Durmstrang, il n’allait pas recommencer près de vint ans plus tard tout de même ! Il devait se reprendre en main, en commençant par se recoiffer et tenter de se décontracter dans le fauteuil. Oui. C’était un bon début, même si se relaxer en ayant pour vis-à-vis le Prince Solus avait tout de la mauvaise blague. Surtout quand sa Majesté commençait à poser des questions affreusement personnelle et absolument pas acceptable.

- Heh bien, il y a des sorcières qui travaillent au Ministère et j’imagine que ma mère et ma demi-sœur compte. Mes cousines aussi, plus que par hibou, mais, erm…

Ce n’était pas bien glorieux, et Jaromir se doutait du bénéfice que lui octroyaient les représentantes du sexe opposé. Sa mère ne cessait de rajouter des responsabilités sur ses épaules, sa sœur, n’en parlons même pas, assez d’exemples ont déjà illustré ce qu’elle lui faisait subir, sans parler des sorcières du Ministère qui pour la plupart ne connaissait même pas son nom ou son existence. Et ses cousines… Oh, c’était un crève cœur de soulever une plume pour répondre aux nouvelles de la maison.

Oh, il y avait bien quelqu’un d’autre, maintenant qu’il y pensait.

- Et cette fille, une inventrice que j’ai rencontré au Ministère. Très ancrée dans ses idées politiques, mais elle a un don pour vous faire réfléchir aux vôtres, pour vous faire reconsidérer ce que vous pensez acquis et changer votre façon de voir le monde. Je n’avais jamais cru que l’on pouvait apprécier les moldus et être une aussi bonne camarade de discussion, ou même un membre acceptable de la société sorcière.

Il se perdit dans ses rêveries éveillées en regardant tous les volumes sur les moldus qu’il avait dévoré pour se mettre à la page avant son expédition, non sans vider les étagères de la librairie sur le sujet. Mademoiselle Solomon avait amené une goutte de Felix Felicis dans son existence. Pas assez pour le rendre amoureux de Londres, mais suffisamment pour lui arracher un sourire, comme celui qui naissait timidement sur ses lèvres en y pensant.