Peony porta la main à sa gorge, douloureuse, qu'il massa doucement. Indéniablement, il aimait suivre les cours particuliers de chant que lui offrait le professeur Bunny, d'un niveau autrement plus élevé que ceux de la chorale de Poudlard ; néanmoins, il devait avouer que sa façon d'enseigner n'était pas tendre. L'opéra, c'était très technique et très intéressant, mais vraiment pas évident à étudier. Au moins, c'était formateur. Peony n'aurait pas pensé que l'opéra était possible même pour les hommes à la voix grave. Ce n'était pas vraiment un pan de la musique auquel il s'était réellement intéressé avant de connaître l'enseignant des arts magiques.
Ceci dit, le Serpentard était passablement agacé de ressortir du cours avec ces gênes à la gorge : il voulait être meilleur, progresser, et ne pas avoir à galérer autant. Il avait des objectifs, désirait les atteindre, et cela prenait trop de temps à son goût, certains jours.

L'adolescent redescendait les étages en direction des cachots. Il avait besoin d'un verre d'eau et d'un peu de repos, ce que sa salle commune lui offrirait sans peine. Les cours étant finis pour aujourd'hui, il pouvait faire ce qu'il désirait, après tout. Comme s'occuper de ses cheveux et les teindre, par exemple. Il ne s'était pas teint depuis longtemps.

Son idée fut toutefois retardée par une erreur de direction qui le mena dans le couloir des tableaux, plutôt que les escaliers menant aux cachots. Il ne se perdait pourtant pas si souvent que ça dans le château. Peut-être qu'il s'agissait encore d'un tour de la magie ambiante, ce n'était pas impossible. Pour un château, il était plutôt caractériel. L'avantage des maisons moldues, comme celle de son père, c'est qu'on pouvait tout expliquer par un peu de logique. La logique, dans le monde magique, ce n'était par contre pas une évidence.

Dévisageant avec curiosité le tableau d'une femme habillée par des citrouilles qui adressait de grands signes de la main à son voisin d'en face, le tableau d'un sorcier noble un peu pincé, Peony ne vit pas l'objet sur sa route, qu'il écrasa sous son pied. Intrigué, il fit un pas en arrière et ramassa un petit livre ; de toute évidence un journal. Il le retourna entre ses mains, l'ouvrit et le feuilleta : rien d'intéressant. Pas un nom, à peine quelques lignes qui ne racontaient rien de très intéressant. En fait, on aurait dit de banales notes de cours, mais aucun élève de son année ne prenait de notes dans un journal. Les sorciers préféraient le parchemin, de toute façon.
Haussant les épaules, Peony tenta un sort qu'il réussit très difficilement pour détecter d'autres enchantements. A juste titre, puisque effectivement, le petit journal paraissait enchanté. Vu ses talents misérables de sorcier, il ne risquait pas de pouvoir rompre les charmes. Bah, ce n'était pas très important. Il suffisait de le rendre à son propriétaire avec une petite annonce et...
Oh. A moins que.
Tout bien réfléchi, il avait des dettes à rembourser. Perseus avait encore agité une bouteille de vinaigre devant son nez, ce matin. Peut-être qu'il pouvait tirer profit de ce pauvre objet abandonné pour sauver le parfum de pivoine de ses cheveux ?

Ni une ni deux, Peony lança un patronus très chancelant, qui ressemblait davantage à une dinde sur un plat qu'à un paon, qui s'en alla trottiner dans les couloirs.
"Journal sans propriétaire déniché, vendu contre quelques galions à qui le veut".

Objectivement, ce n'était pas très honnête. C'était même assez méchant envers le propriétaire légitime. Enfin, bon, Peony n'était pas un enfant de coeur non plus. Pas un mauvais bougre, mais pas un trop bon samaritain non plus. Peut-être que Kelsey lui en voudrait un peu pour ça, mais il n'était pas à Serpentard juste parce qu'il avait un rêve un peu fou.

Le retour avait été plutôt rapide ; pas celui du patronus, qui avait dû se dissoudre quelque part étant donné le peu de talent de son lanceur, mais d'une personne intéressée par le journal égaré. C'était tout du moins ce que Peony comprenait par le ton particulièrement glacial et agressif de la jeune fille plantée devant lui, persuadée qu'un peu d'intimidation lui permettrait d'obtenir ce qu'elle désirait, sans doute.
Peony aurait pu être contrarié par cette attitude mais, bizarrement, il s'en fichait un peu. Elle n'était pas la première à vouloir asseoir une espèce de supériorité sur lui, et ne serait certainement pas la dernière. Le seul point vaguement vexant, c'était cette façon de lui parler alors qu'il ne faisait que rendre service, dans le fond. De façon un peu détournée et pas forcément très honnête, mais tout de même, il aurait pu simplement jeter le carnet dans la pouvelle la plus proche.

Alors, pour sa défense, Peony décroisa les bras et tint le carnet en hauteur, profitant de sa taille beaucoup trop grande à son goût pour le laisser hors d'atteinte de la fille emportée. D'ailleurs, a vu de nez, c'était une de ses camarades de classe à qui il n'avait jamais franchement adressé la parole.

- T'es pas franchement polie comme fille. Il y a des manières plus aimables de demander quelque chose à quelqu'un, souligna-t-il d'une voix un peu enrouée, mais toujours avec son fort accent écossais.

Elle aurait gentiment dit bonjour, évoqué le fait que ce journal lui appartenait, à elle ou une amie d'ailleurs, il s'en fichait, il lui aurait rendu sans faire d'histoire. L'objet ne l'intéressait pas, dans le fond,  et il était tombé dessus complètement par hasard. Mais dans ces circonstances... non, vraiment aucune envie de se montrer niaisement serviable.

- Il y a une raison légitime à ce que je te donne le journal d'ailleurs ? Il n'y a pas de nom dedans. Rien me dit qu'il t'appartient. Ce serait malhonnête que je le donne à la mauvaise personne.

Ceci dit, étant donné le comportement de cette fille, il n'y avait pas des milliers d'option. Soit le journal lui appartenait, soit elle en voulait beaucoup à sa propriétaire d'origine et souhaitait en tirer profit ; ou quelque chose de ce style.

La petite Serdaigle face à lui alignait excuse sur excuse et enchaînait argument sur argument pour tenter de le convaincre de lui rendre l'innocent journal, mais Peony n'était pas très motivé à accéder à sa requête. En soit, il avait bien conscience d'être en train de perdre du temps, mais c'était vraiment plus fort que lui : son ton assez impétueux précédemment employé lui avait déplu. Sans doute parce qu'il était déjà un peu énervé et frustré de ce cours privé de chant qui lui avait rappelé qu'il avait encore beaucoup, beaucoup de progrès à faire.

Il continuait de maintenir le carnet en hauteur, bien que conscient qu'un simple sort pouvait le lui arracher des mains ; mais, pour l'heure, l'inquiétée camarade de Serdaigle ne semblait pas vraiment se souvenir de cette possibilité. A moins que l'ouvrage soit aussi protégé des sorts d'attraction, allez savoir.

- Rien ne me dit que tu ne mens pas, tu sais. Je ne te connais pas très bien, je ne sais pas du tout si je peux te faire confiance. Peut-être qu'il ne t'appartient pas du tout, que tu veux faire du mal à quelqu'un, et qu'en te le cédant, je risque de blesser un autre élève, le vrai propriétaire, auquel tu souhaites du mal. C'est pas impossible.

Peony se demandait vagement où et quand il avait appris à émettre des hypothèses extravagantes et à menacer gentiment autrui. Peut-être au contact de Perseus. A force d'être la victime de ses sous-entendus, il avait sans doute retenu deux ou trois astuces dans le domaine. D'ailleurs, il n'était pas victime que des sous-entendus. Certains matins, il avait encore le sentiment de se réveiller avec une odeur de vinaigre dans le nez.

Ceci dit, l'argument des sortilèges n'était pas mauvais du tout. Pas mauvais, mais pas infaillible.

- Tu vises assez juste, mais si le carnet a été enchanté par un apprenti sorcier standard juste un peu doué, n'importe quel autre élève standard un peu doué pour les lever, c'est pas si compliqué que ça lorsqu'on sait tenir sa baguette dans le bon sens. Si je te laisse faire, tu pourrais très bien en plus le falsifier pour y faire apparaître ton nom et des informations que tu es censée être la seule à connaître.

Dans ces conditions; vraiment, aucune raison de le lui rendre. Dans le fond, Peony ne doutait pas vraiment que le carnet lui appartenait, mais ce n'était pas le bon jour, pas le bon moment, pas la bonne attitude. Ce n'était finalement pas beaucoup de chance pour cette Serdaigle que Peony ne soit pas le garçon de Poudlard le plus doué avec la sensibilité humaine, ni le plus apte à remarquer lorsque quelque chose tient à coeur à autrui.

Lever le sort par lui même ? La bonne blague ! Peony haussa un sourcil et lâcha un rire franc. Le jour où il saurait briser des enchantements et se faire obéir de sa baguette magique, il cesserait peut-être d'être la honte de son directeur de maison. Être à Serpentard et avoir de mauvaises notes en sortilèges n'était pas particulièrement conseillé, mais bon, on ne choisissait pas ce que l'on était à tous les points de vue. Dans le fond, ce n'était pas si dérangeant que ça. Il aurait pu être un cracmol qu'il l'aurait tout aussi bien véu, quoique cela l'aurait sans doute définitivement froissé avec sa mère.

- Pas moyen que je sois assez compétent en magie pour défaire un maléfice, contesta l'adolescent en haussant les épaules. Ce sont peut-être pas des sorts du plus haut niveau, mais c'est déjà trop pour moi. Dommage dommage.

Il avait prononcé ces derniers mots avec un ton faussement désolé. Il devait reconnaître qu'elle témoignait d'un certain effort pour ne plus se montrer aussi agressive qu'à sa première intervention. Il aurait gagné pas mal de temps à simplement lui rendre le journal, peu importe qu'il lui appartienne ou non, il s'en rendait bien compte, mais quelque chose lui dictait de ne pas le lâcher aussi aisément. Sa frustration d'une journée pas tout à fait réussie, peut-être. En même temps, savoir que Perseus l'attendait probablement dans la salle commune pour lui réclamer son argent, ou qu'Astrid allait encore lui crier dessus pendant une heure ou deux ne lui donnait pas particulièrement hâte de se traîner jusqu'aux cachots.

- Hm, on a affaire à une impasse, tout de même, finit-il par commenter. Rien ne prouve que tu es sa propriétaire, et je désire ne le rendre qu'à sa propriétaire, c'est embêtant. Je me demande qu'est-ce qui serait assez persuasif pour que je te le donne sans être sûr qu'il est à toi... songea Peony à haute voix.

Il y avait forcément un moyen de trouver un terrain d'entente. En y réfléchissant un petit peu, il finirait bien par trouver un service qu'elle pourrait lui rendre. Pas rembourser ses dettes, c'était un peu trop bas, même pour lui. Faire ses devoirs à sa place ? Ce serait grillé à des kilomètres que ce serait trop bien fait pour venir de lui. Jeter un sortilège de mutisme à sa capitaine de Quidditch ? C'était signer l'arrêt de mort de la petite Serdaigle.

- Je suis un peu fatigué alors je sèche, mais si t'as une idée d'un service que tu pourrais me rendre pour que je te file le journal, on devrait pouvoir s'arranger.

Faire réfléchir les autres, c'était bien aussi, quand on manquait d'idée.

Celle-là, Peony ne s'y était pas attendu. Il n'était pas très souvent victime de sorts, dans l'ensemble, alors il ne se méfiait pas particulièrement. On lui criait dessus, on versait du vinaigre dans ses cheveux ou on lui cachait son harmonica, mais les maléfices en eux-même, ça restait du domaine de l'exceptionnel ; de ce fait, forcément, lorsque la petite sortilège décida de l'endormir, Peony n'eut absolument pas le réflexe de sortir sa baguette et de lancer un contre-sort. De toute façon, le temps qu'il réussisse à le lancer, ce contre-sort, la demoiselle aurait eut le temps de l'endormir dix fois.

Forcément, ce fut un sommeil court et sans rêve, et à son réveil, Peony eut davantage l'impression d'avoir fait un léger malaise qu'un réel petit somme. Il mit à tout petit de temps à se souvenir de ce qui avait causé cet état et du visage de la petite Serdaigle mais, une fois les idées bien en place, il fronça les sourcils, vaguement énervé. D'accord, objectivement, il l'avait un petit peu cherché ; mais ce n'était pas une raison pour le laisser traîner dans la poussière et lui voler le journal. Parce qu'avec tout ça, il n'avait toujours aucune preuve qu'il lui appartenait.

Peony se leva en titubant un peu, et posa notamment sa main gauche sur le visage d'un tableau, qui émit un grand cri outré. La dame de peinture commença à l'insulter et exiger de multiples excuses, mais le Serpentard se contenta de hausser les épaules : ce n'était qu'une toile, et ce n'était quelques doigts sur un visage à l'huile qui allait apporter la guerre dans le monde. Il avait d'autres chats à fouetter.
Jugeant qu'elle n'avait  pas dû déguerpir depuis si longtemps que ça, Peony décida de partir à la poursuite de la petite voleuse de journal. Maintenant, c'était ciblé : il faisait de la détention de ce bout de papier une affaire personnelle. Il ne le céderait à personne avant examen attentif de quelqu'un de qualifié. Kelsey par exemple. Il lui faisait confiance, à Kelsey.

Avec plus ou moins de difficulté, le grand blond lança un  sortilège de traçage pour la retrouver plus vite. C'était hasardeux, mais ce fut efficace, parce qu'il la vit au détour d'un couloir et la pointa du doigt.

- Eh toi ! l'apostropha-t-il avec autorité. Ce n'est pas très beau d'endormir les gens et de les voler. Rends-moi ce journal.

Il était à deux doigts de dire mon journal, mais en soit il ne voulait pas le posséder, juste déposséder la Serdaigle et confirmer l'identité véritable du détenteur officiel du carnet.

Peony ouvrit de grands yeux éberlués. Elle l'accusait de vol, là, il ne rêvait pas ? Lui qui avait daigné trouver et ramasser ce pauvre journal qui, sans lui, serait peut-être resté éternellement échoué dans ce couloir ? D'où prendre avec soi ce que l'on trouvait par terre était assimilé à du vol ? Le Serpentard n'était pas très calé en terme de justice, magique comme moldue, mais il était à peu près certain de n'avoir volé personne. Encore, il aurait arraché le bouquin aux bras d'un élève, d'accord... mais ce n'était pas le cas.

- Je proteste, la voleuse c'est toi. Il baissa son doigt et s'approcha d'elle. Tu es incapable de m'apporter une preuve que cet objet trouvé t'appartient, tu me jettes un sort et tu accuses autrui. Tout ce que ferait une voleuse. En fait, tu t'enfonces.

Le grand blond tenta vaguement de se souvenir de pourquoi il s'investissait autant dans cette stupide affaire de journal perdu, mais réfléchir à ça était un peu trop compliqué pour le moment, alors tant pis ; bizarrement, la situation était assez prenante. Elle avait un arrière-goût de vieille série télévisée, de celle ou les malentendus prennent des proportions énormes et enclenchent un tas d'événements plus ou moins drôles.

- A ta place, je ferais pas trop de magie, on ne sait jamais quand un préfet va débarquer.

Il aurait été tenté de lui faire croire que lui-même était préfet, mais ce n'était clairement pas crédible. Ils fréquentaient les mêmes cours, elle l'aurait su. Et puis, si Peony n'était pas un élève turbulent, il n'en restait pas moins un très mauvais sorcier, et pas un très honnête garçon. Sans être le pire. De toute façon, il y avait toujours pire.

- Serdaigle ne devrait pas trop aimer perdre des points à cause de la malhonnêteté de l'un de leurs élèves, ajouta-t-il pour enfoncer le clou.

Peony allait définitivement se faire passer un savon énorme, si tout ça prenait de plus grandes proportions. Kelsey se désolerait de son comportement immature, certains camarades désespéreraient du temps perdu, d'autres ne reconnaîtraient peut-être pas son comportement. D'habitude, Peony n'était pas un mauvais bougre. Le problème de Peony, c'était sa tendance assez fâcheuse à se préoccuper de lui beaucoup plus que des autres ; et, en conséquences, à agir de manière un peu stupide, parfois.

Enfin en attendant, c'était elle qui avait le journal dans les mains. Il était grand temps de réfléchir à un moyen de le récupérer.

La petite Serdaigle était subitement bavard : Peony s'en étonna un peu. Jusque là, elle avait principalement protesté en quelques mots à ce qu'il disait, mais elle lui offrait là un véritable plaidoyer. Elle racontait un peu sa vie, l'insultait, se vantait d'un certain potentiel. Il aurait presque pu apprendre à la connaître, si tout cela n'avait pas commencé à le fatiguer. En soit, l'affaire du journal l'intéressait toujours, mais il bâilla : cette journée commençait à devenir trop longue, à moins que ce ne soit les restes du sortilège de sommeil. C'était possible aussi dans l'absolu.
Peony agita une main agacée.

- D'accord, d'accord, garde ce journal. Pour l'instant.

Grand bien lui fasse. Pour l'heure, il ne disposait d'aucun moyen de récupération efficace, alors qu'elle le garde un petit moment, ce n'était pas dérangeant. Il reviendrait à l'assaut plus tard, avec un plan correctement établi en tête. Et une fois le journal en sa possession, il le vendrait au plus offrant, et aurait enfin l'argent nécessaire pour rembourser Perseus et échapper à ses persécutions. Ou acheter un cadeau de Noël correct pour Kelsey. Ce pouvait être une bonne option aussi.

- Compte sur moi pour tout de même finir par le récupérer. Ce bien m'appartient.

C'était quoi l'expression déjà ? Qui part à la chasse perd sa place ? Et bien voilà : IL avait trouvé ce journal donc il LUI appartenait. Logique de base dans ce monde impitoyable.
Peony haussa les épaules et, drapé dans sa fierté insolente, passa à ôté d'Eileen pour descendre les escaliers.