Aliénor s'était levée ce matin d'humeur mitigée. Elle adorait la période des fêtes de Noël qu'elle préférait toujours passer au château. Ses yeux pétillaient toujours d'excitation devant les décorations lumineuses et elle avait toujours du mal à retenir le sourire niais qui lui brûlait les lèvres. Mais ce matin les piaffements qui lui vrillaient les oreilles à une heure trop matinale avaient émaillé sa joie et son excitation. Certes, c'était le matin de Noël et les cadeaux devaient être arrivés mais chaque année elle redécouvrait comme par magie à quel point les filles pouvaient être bruyantes. Elle se glissa avec peine hors de sa montagne de couvertures supplémentaires qu'elle avait plus ou moins légalement emprunté à l'école, déposant ses petits pieds nus sur le sol, réprimant un frisson tout en essayant d'ouvrir correctement ses yeux collés. Quand elle réussit enfin à retrouver une vue normale elle se demanda si justement elle n'aurait pas préféré les garder fermés. En dehors du bazar habituel il régnait dans leur chambre une agitation anormale et généralement tous les événements anormaux étaient bizarrement de la faute de l'école.
Elle savait que les cadeaux envoyés par ses parents étaient arrivés, son père tenait absolument à ce qu'elle les reçoive en temps et en heure et l'excitation de sa petite sœur à l'approche des fêtes les rendaient impossibles à oublier. Elle sourit, encore groggy, en pensant à sa petite princesse à qui elle avait envoyé une cape épaisse de taffetas et de velours noir surpiqué de fourrure synthétique argentée. Elle imaginait parfaitement le visage de la petiote quand elle découvrirait les paquets chez elle en Irlande. Le fait de ne pas la voir était un des seuls regrets qu'elle éprouvait quand elle décidait de passer les fêtes de fin d'année au château plutôt que chez elle. Cependant elle avait du mal à supporter les visites familiales, les dîners interminables où il fallait se tenir bien droite et où ses cheveux étaient si tirés qu'ils lui faisaient mal, des apparences à tenir, des airs désappointés et des reproches non formulés de sa mère. Alors malgré la pointe douloureuse quand elle pensait à sa sœur elle était quand même bien heureuse de rester à Poudlard.

Elle étouffa un bâillement avant de poser ses yeux sur une piscine, littéralement, remplie de gallions. Un immense sourire satisfait s'étendit sur son visage tandis qu'elle enfilait à la va vite une cape par dessus le grand T-shirt et le short court qui lui servaient de pyjama. En trois minutes elle avait attaché ses cheveux en chignon plus ou moins grossier, compris le fonctionnement portatif de la piscine et sortie en trombe de la chambre, son uniforme, un maillot de bain et une serviette sous le bras. Elle savait à peu près où aller, elle ne voulait pas d'un endroit trop bondé, sa salle commune et le réfectoire attireraient trop de curieux, il y aurait trop de passage dans les couloirs, il lui fallait donc une salle de classe plutôt tranquille. Elle avait donc opté pour la salle d'Arithmancie ou personne ne venait jamais en dehors des cours. Aliénor aimait bien cette salle avec ses très grandes fenêtres, elle serait au calme pour tremper dans son or tout le temps qu'elle le voudrait. Avec joie elle repoussa magiquement les bureaux, installa la piscine et jugea que ça serait très bien. Quelques minutes d’œillades pour vérifier qu'elle était vraiment seule et elle se changea pour enfiler son maillot de bain, balança sa cape et son pyjama un peu au hasard. Elle s'assit confortablement au bord de la piscine, laissant ses pieds s'enfoncer agréablement dans la masse mouvante de pièces qui tintaient divinement à l'oreille dès qu'elle bougeait.

La salle était au sixième étage, elle était persuadée qu'elle serait tranquille et seule, et elle n'arrivait pas à s'imaginer qui pourrait s'aventurer dans la salle de classe d'Arithmancie le jour de Noël alors qu'il était à peine dix heures du matin. Tout le monde s'était gavé la veille et elle comptait sur la somnolence et le sommeil du juste pour lui donner quelques heures de répit. Pensivement, remuant les pieds, elle grattait la peau juste sous le nœud de son haut de maillot de bain. Elle essayait en vain d'estimer la somme de toutes ces pièces, ce qui était tout à fait inutile étant donné que c'était de l'or de farfadet.

« Quand Ludovic s’était levé, grognon, et avait demandé à ses chers copains de dortoir de la fermer un peu — car bon c’est pas parce que c’est noël qu’il faut gueuler comme des oies et sauter sur les pieux de ceux qui dorment encore ; il avait pu admirer à quel point son autorité faisait de l’effet. Genre silence total, juste quelques petits chuchotis à moitié étranglés. Il avait fallu qu’il en rajoute une couche en disant qu’il déconnait et blablabla pour que tout redevienne normal. Aussi les gamins n’avaient pas tardé à l’assaillir de questions du genre « maiswtfmanqu’est-cequetufousmais » jusqu’à ce qu’ils dénichent sous son oreiller un petit mot du cher préfet fayot expliquant le pourquoi du comment. Aussi les cris d’incompréhension n'avaient pas tardé à se transformer en hurlements d’indignation. Comment ça il pouvait se faire obéir à souhait ? Comme si son statut de préfet ne suffisait pas et ceci et cela et bref.

Une fois habillée et tout le tralala et tsointsoin habituel (ou presque car cette journée était pour l'instant toute sauf normale, routinière ou que sais-je encore), la blonde carcasse était sortie de son dortoir avec une migraine assez phénoménale et l’impression d’avoir offensé un monde alors qu’au final, il n’avait rien demandé. Et puis les cadeaux assez spéciaux des autres étaient fichtrement cool, pourquoi n'étaient-ils pas contents de ce qui leur était donné ? Franchement. Evitant un nuage de friandises et une marée de chatons (sérieusement qui avaient souhaité ce genre de machins ?) le sixième Dave avait finalement réussi à atteindre la salle commune. Amen. Aussi avait-il choppé le cadeau qui lui était destiné venant tout droit de ses parents et était sorti de ce monde de folie ; plus vraiment dans les vapes mais carrément assommé par toutes ces festivités et absurdités qui lui avaient sauté à la tronche sans préavis ni once de douceur.

Enfin bref.
Triste histoire. Et le pire restait à venir — oui oui. Il devait descendre tous les escaliers de sa tour pour par la suite monter ceux menant chez les bleus pour voir son petit frère qui lui non plus n’était pas rentré et et et — et. Ah oui, aller faire son sale boulot de préfet soit vérifier si Ben-le-fou avait bien nettoyé la salle d’arithmancie ; dixit la dernière punition que les hauts gradés rouges avaient décidé de lui donner. Ou infliger, ou offrir — enfin bref. On ne savait jamais vraiment avec l’autre taré. Un coup il se roulait à vos pieds en vous hurlant de sombres absurdités, un autre il tentait de vous planter un couteau dans le bide et de vous arracher les yeux avec les dents. Bref. Un gamin tout à fait normal dans une école tout à fait saine, en somme.  

Ses parents avaient donc offert des gants à Cassandre. Wouhou. Pour lui c’était une écharpe — tout aussi génial. Au fond, les deux gamins étaient bien contents ; ils se fichaient un peu du contenu de leur cadeau — Noël était avant tout un moment de partage. Pas besoin de mettre des cents et des mille dedans ; de toute façon les frères s’offraient toujours des cadeaux entre eux, donc pas besoin de trop les gâter individuellement. Il y avait à l’accoutumée pour chacun en plus de la petite offrande un mot d’amour et une photo magique — c’était toujours le truc qui faisait chaud au cœur. En temps normal, quand ils pouvaient tous le fêter à la maison, ils prenaient la photo tous ensemble ; mais vu que cette année la fratrie était éparpillée un peu partout et aux quatre coins du monde (ou presque), les parents s’étaient contentés de se prendre eux et — et bref. Quelques tièdes tendresses plus tard, Ludovic relâchait son cadet et s’en allait faire sa petite ronde promise. Encore des escaliers à descendre et à remonter. Easy !

« Wowh. » Et ce fut à peu près tout ce qu’arriva à prononcer le blond garçon une fois entré dans la salle d’arithmancie. Comment dire. Il y avait une fille — qui déjà ? Aliénor euh. Callahn ? Callahan ? Il était en cours avec elle parfois ; mais à vrai dire ce n’était pas à l’heure actuelle sa préoccupation la plus euh. Conséquente. Ou grande, ou tout ce que vous vouliez — car.
Comment dire.
La nana flottait dans une piscine de gallions ? Il se doutait qu’ils n’étaient pas vraiment réels mais tout de même. Dans une piscine de pièces dans la salle d’arithmancie du sixième étage avec les tables virées et tout le bordel pour faire de la place et — « … Joyeux noël. »

Sur le coup, il n’avait rien trouvé de mieux à dire ; non.
Pas du tout.

Le calme était entier dans la salle, à tel point qu'Aliénor pouvait entendre le moindre gallion tinter dans sa piscine. Le silence était presque solide et elle s'étonnait d'apprécier à tel point la sérénité après l'agitation du dortoir et des couloirs. Mais elle était moins concentrée que ce qu'elle pensait, elle était trop joie dans son eau chargée d'or de farfadet. Habituellement elle aurait entendu les pas et la porte, elle se serait tournée avant même que la personne entre dans la salle mais là elle battait de ses petites jambes tout en se plongeant dans la piscine. Elle ne releva la tête que quand le grand préfet des rouges ouvrit la bouche. Ce type était immense et préfet aussi, elle s'était déjà retrouvée dans les mêmes cours. La seule chose qu'il fût capable de dire la fit immédiatement rire de son rire cristallin qui résonnait étrangement dans la salle à haut plafond. Elle rit d'autant plus qu'il souhaita un joyeux Noël automatiquement, posant sa tête sur ses mains au bord de la piscine immense emplie de gallions.

- C'est approximativement la même réaction que j'ai eue en me réveillant ce matin et en trouvant ça - elle fit un geste du bras pour englober l'entièreté du bassin - au pied de mon lit.

Il semblerait que beaucoup de monde ait eu des cadeaux assez particuliers cette année et elle se demandait vaguement ce que le préfet avait eu sans oser réellement demander, elle le détaillait juste en essayant de deviner sans y réussir. Elle savait vaguement que c'était impoli de le fixer comme ça et aussi de ne pas lui proposer de la rejoindre mais elle se demandait vaguement comment elle pourrait dire ça, et puis les Gryffondor étaient réputés pour ne pas être gênés donc il allait s'inviter lui même s'il le voulait non ? Flotter dans les gallions était assez bizarre, une masse mouvante solide mais souple, froide et composée de milliers de pièces. Elle gratta machinalement la base de sa clavicule en continuant de le fixer un sourire mi figue mi raisin sur le visage.

Elle se rendait compte qu'ils avait passé toutes leurs années de Poudlard en même année et qu'elle n'avait jamais fait attention à lui, enfin elle avait déjà remarqué sa taille qui jurait automatiquement avec la sienne mais c'est à peine si elle arrivait à se souvenir de son nom, Dave elle croyait. Enfin Dave c'était son nom de famille, son prénom finissait en o ou quelque chose comme ça. Ah. Non en fait ça devait être un diminutif, Ludo, pour Ludovic sûrement. Elle n'en savait trop rien et ça l'étonnait de pouvoir croiser quelqu'un pendant plus de six ans et de ne pas connaître réellement son prénom. C'était un peu quand elle avait parlé avec Emmet pour la première fois, elle s'était étonnée de s'entendre de bien avec lui alors qu'elle l'avait quand même côtoyé depuis six ans sans jamais réellement le connaître. Bon pour le rouge c'était un peu différent, même s'ils partageaient à priori les mêmes fonctions ils n'étaient pas dans la même maison et ça réduisait les occasions de se croiser. Elle haussa les épaules, un éternel sourire en coin sur son visage.

- Tu as bien du avoir quelque chose de particulier pour Noël aussi, non ?

La curiosité toujours, imbattable curiosité qui la poussait toujours à agir et à demander. Elle n'aimait pas particulièrement se montrer curieuse, elle aimait savoir. La connaissance est une forme de contrôle, de pouvoir qu'elle aime bien. Et puis c'est surtout un trait de sa personnalité irrépressible, ce besoin de connaître les choses, de savoir tout ce qu'elle ignore. Elle se demandait aussi s'il allait juste rester là à fixer la scène avec son air hébété, une clochette tintait quelque part dans son esprit. Elle savait que s'il le voulait vraiment il aurait pu la coller en retenue, mais les fêtes agitaient tellement le château qu'elle espérait que sa piscine passerait relativement inaperçue au milieu des agitations estivales. Elle pencha la tête sur le côté, toujours essayant de juger ce qu'il allait faire avant de lever les yeux au ciel, soit il avait subi un plus gros choc que ce qu'elle s'imaginait, soit il n'était pas dégourdi pour un sou, ce dont elle doutait quand même.

- Tu peux venir si tu veux hein, je ne vais pas te mordre. Ludovic c'est ça ?

« C’est Perseus qui serait content. » avait-il marmonné en réponse aux paroles d’Alié. Par qu’il le connaisse à mort, hein. Ni qu’il connaisse un tant soit peu n’importe quel serpentard mais c’était juste que… C’était un phénomène ? Comme Ben-le-fou ? Puis bon, il était pas préfet pour rien; c’était son job de savoir et de connaitre un peu tout le monde. Il était ce radar réglo chez les rouges - et sans doute le seul - qui discernait les embrouilles et bref. Passionnant, n’est-ce pas ?

Se frottant l’arrière du crane, il avait souri à la blonde aux gallions. « C’est vraiment cool ! Elle est transportable à volonté du coup j’imagine ?? Enfin comment t’as fait pour souhaiter ça sérieux hahaha. » Il pouvait pas s’empêcher de rire un peu, maintenant qu’il s’était remis de ses émotions. Non car à bien y réfléchir, c’était assez marrant comme demande au papa-fayot-noël-poudlard. Lui n’avait rien demandé, d’ailleurs — enfin il ne s’en souvenait pas du moins. Mais ça avait jamais été son truc de pouvoir rendre esclave les autres. Mais bon, c’était la vie — et pour un jour ça pourrait pas faire de mal… Si ? « Eh ouais, j’ai aussi eu un truc pour Noël. »

Et son visage était un vrai spectacle, passant de surprise à air mi-blasé mi-sympa à… Totalement farfelus. Non car Ludovic n’avait jamais été quelqu'un de vil, de méchant ou de désagréable. C’était un bon gars, qui avait vécu dans sa bulle, en marge des délires loufoques et souvent trop sexuels des rouges. Aussi il s’étonnait un peu de jamais avoir trop parlé à Alié… Et à tellement d’autres, en fait. Qu’avait-il foutu de sa vie ? De Poudlard ? De ces fichues sept années ? Il s’était noyé dans une maison qui au final, ne lui correspondait peut-être pas… Tellement ?

Aussi ricana-t-il un peu; prêt pour son effet super-pourri mais super-marrant : « Alors en gros. Personne ne me résiste. » Et ça, c’était l’explication la plus nullissime du monde. Mais on lui pardonnait, n’est-ce pas ? « Enfin je veux dire que tout le monde est obligé de faire ce que je dis. Que ce soit une action, une parole ou quoique ce soit. Je suis une sorte de préfet falot suprême. Tu veux voir ? » Il rigola un peu, de bon coeur — c’était pas quelqu'un se prenant au sérieux, Ludovic. Et c’était peut-être ça qui le rendait si sympa, d’ailleurs. Sa manière d’être désabusé en permanence, tout en restant assez terre à terre.

Mais là, maintenant tout de suite — c’était parti pour les effets spéciaux. Du genre je tends mes bras vers toi et je gueule « les bras en l’air ! ». C’était comme ça qu’ils disaient dans les films moldus, non ? … Ou c’était pas les mains ? Enfin bon. Il attendit que tout se passe, et par ailleurs une quelconque réaction effarée de la part de la blondinette « Enfin t’as vu, c’est super cool non ? Mais je suis pas quelqu'un qui ait grand chose à faire de ça. Ou un quelconque… Ou malin plaisir à faire ce genre de chose enfin ? Je suis tout de même content que ce soit tombé sur moi et pas sur Ben LOL. » Ou ils seraient tous morts. Du genre, intégralement — fatalement. Bref. C’était très nul, que de dire ça; quand même. « Et euh, pourquoi pas. De base je passais juste pour tu sais, voir si Ben-le-fou avait nettoyé la salle comme on lui avait demandé mais il est pas là et ça a l’air propre et ? » Et pourquoi tout tournait toujours autour de lui ? Sans oublier Grayson, aussi; qui s’amusait à martyriser des pauvres premières années.

… Pourquoi sa maison était le foyer, le refuge des individus à problèmes; hein ? Des élèves hyperactifs, bagarreurs, sales tronches quand c’était pas ceux étant de mauvaise humeur perpétuelle. Mais bon, on s’y faisait ? Du moins il espérait; après ces sept années passées dans leur tour, avec eux. Y’en avait des sympas, après tout. Et des calmes, aussi — ceux qui correspondaient à l’image de base des Gryffondors. Du genre noblesse d’âme et courage.

Et voilà qu’avec toute cette histoire, il en avait oublié de dire à Alié de redescendre; enfin de baisser ses bras à nouveau.
Ce mec était un boulet — un boulet gentil; cependant. Juste un peu tête en l’air.
C’était un sac, quoi.
Un sac en vrac.