Louis fulminait.
Louis avait l'habitude de fulminer. Depuis sa première année à Poudlard, il ne s'était probablement pas écoulé plus d'un jour sans qu'il ne sente ses nerfs irrités par un rien ou un autre. Par un cours trop magique à son goût, par un professeur trop abusif à son goût, par un élève trop prétentieux à son goût, par les inconsciences de sa soeur, par une retenue, par un commentaire déplacé d'un camarade, par une moquerie.

Il essayait simplement de terminer un devoir de divination dans sa salle commune. Une stupide histoire de prédiction à la grecque dans le vol des oiseaux. Soi-disant qu'on pouvait y lire la volonté des dieux. Louis n'avait pas manqué de signaler qu'un oiseau était trop bête pour comprendre la parole divine : preuve en était que beaucoup de hiboux se mangeaient les fenêtres de Poudlard au lieu d'atterrir convenablement sur le rebord.
Une tâche louable, donc, que de tenter d'avoir un Piètre plutôt qu'un Troll. C'était alors ce moment qu'avait choisi un élève de sixième année pour venir l'embêter. Une passion dans la maison de Serpentard que de faire payer à Louis les points qu'il faisait perdre et ses remarques acerbes rarement accompagnées d'excuses.
Alors, après une claque un peu virulente sur la joue de la fille venue l'importuner, et de copieuses insultes envers l'ensemble de ses camarades présents, Louis avait quitté la salle commune, les larmes aux yeux.
Comme d'habitude.

- Qu'ils meurent tous avec un sortilège raté... !

Il sifflait des injures tout en grimpant les marches des cachots deux à deux. Il eut tôt fait d'arriver dans le hall, de profiter du sommeil des tableaux pour ne pas avoir à répondre à de stupides questions, et continua son ascension avec agacement, proférant une flopée de malédictions à l'égard des pires sorciers de ce maudit château.
Il ne savait pas vraiment où il se rendait, mais il avait la furieuse envie de voir Andrea ou Violet. La tour de Serdaigle étant justement une tour, monter était le bon chemin. Ginkgo aurait aussi pu faire l'affaire, mais Louis ne savait pas où il était.

Pourtant, il n'alla pas jusqu'à la tour de Serdaigle. Il ne savait pas trop comment, mais il avait atterris dans un couloir, et, bizarrement, il ne savait pas du tout lequel. Il faisait sombre, humide, comme un peu partout, et il glissa sur un objet sphérique qu'il ramassa et fourra dans sa poche. Il l'examinerait plus tard. Puis, en se relevant, cogna un menton.

- Aïe ! Regarde où tu vas un p... Oh. Tout en frottant sa tête, Louis avait reconnu celle de son agresseur. Callum. Pourquoi t'es là ? T'es somnambule ? T'as perdu ta baguette ?

Bon, il n'avait certainement pas besoin d'être aussi méchant avec son camarade de Gryffondor, mais il était vraiment en colère et passer ses nerfs sur quelqu'un lui faisait bizarrement du bien. Maintenant, il allait faire un effort pour être un peu plus aimable. Un peu.

- Dis. On est où ? Tu sais ?

Louis grogna. Il n'avait pas très envie de montrer qu'il s'était perdu. C'était ridicule, de se perdre. En plus, si un préfet les découvraient, ils allaient faire perdre une tonne de points. Pour changer.

Louis dû recevoir plusieurs informations au même moment. Ce qui, à une heure aussi tardive, mettait forcément quelques minutes à être traité. En outre, réussir à se concentrer tout en se tenant à côté de Callum tenait de l'exploit : parmi les multiples défauts que Louis reprochait au Gryffondor (et Louis reprochait de multiples défauts à tout le monde), il y avait son dynamisme à toute épreuve.
Ainsi, Callum recherchait son matériel de potion. Quelle étrange entreprise. A sa place, il aurait laissé ledit matériel perdu. D'ailleurs, il devrait peut-être même songer à le perdre. L'horrible professeur Mantis ne pourrait alors plus l'obliger à préparer d'infâmes potions tueuses de gens.

- C'est stupide. Laisse ton matériel là où il est. Si tu l'as perdu, c'est que le destin l'a voulu. Le destin veut qu'on se révolte contre l'enseignement des potions. Je veux bien perdre mon matériel avec toi si tu veux. On ira en retenu mais on sera libres.

Toute excuse était bonne à prendre pour mettre des bâtons dans les roues du professeur Mantis. Et du professeur Emerald, aussi ; mais à moins de casser sa baguette, Louis voyait difficilement comment enquiquiner davantage son nain d'enseignant. Qui plus est, il refusait déjà de lancer le moindre sortilège, donc ça ne changeait pas grand-chose.

La seconde information à analyser concernait leur localisation géographique. Aussi perdus que le matériel de potion de Callum, somme toute. Louis soupira de toutes ses farces, et fourra ses mains dans les poches de sa robe de sorcier. Ce couloir était glacial. Ces sorciers tout de même, même pas fichus d'inventer le chauffage.

- Tu sais pourquoi je déteste la magie, Callum ? Une question rhétorique pour la forme. Callum connaissait ses antécédents. Parce que les sorciers savent envoyer des boules de feu et faire pousser des plantes carnivores, mais ils sont pas fichus de permettre à tout le monde d'avoir chaud, de manger bien et de voyager dans l'espace.

Louis afficha une moue boudeuse. Il y avait des choses où il se disait que, quitte à être un sorcier, pardi, autant révolutionner ce monde arriéré et pas magique du tout. Puis, dans ces moments-là, sa raison le rappelait à l'autre : il refusait d'être un sorcier. Son rêve ultime était de demeurer un petit garçon normal.

Le pire, dans cette histoire d'égarement, c'était sans doute que cela ravissait Callum. Ce gars était d'un optimisme à toute épreuve. La seule chose que Louis voyait dans cette situation, c'est qu'il pouvait potentiellement faire perdre des points à Serpentard, pour faire enrager encore plus ses camarades. Le principal soucis de l'affaire étant que le professeur Emerald lui ferait comprendre la notion de regret avec beaucoup de patience et d'investissement.
Puis, sans trop comprendre ce qui lui arrivait, Louis se laissa entraîné par son camarade de classe qui trouva la porte devant eux très à son goût. La porte en question trouva aussi la cravate de Louis très à son goût, puisqu'elle la coinça sans prévenir. Louis eut le souffle coupé.

- Calum arrête... j'étouffe...

Lorsque le garçon le lâcha, Louis put dé-serrer sa cravate et la décoincer de la porte. Il la retenait, d'ailleurs, cette porte. Un jour, il viendrait la brûler. Avec des vrais outils de moldus. Comme un briquet, ou de bonnes vieilles allumettes.
Libéré de son collier étrangleur, Louis put se rendre compte qu'ils avaient échoué dans une pièce, et non un autre couloir. Une pièce bizarrement assez vide, avec juste un grand truc recouvert par un drap au milieu.

- Euh... c'est quoi ?

Il n'osait pas s'en approcher et préférait laisser Callum faire le premier pas. Si c'était la cage d'un monstre magique, mieux valait ne pas s'y frotter de trop près.

Callum était perdu, perdu comme son matériel de potion qu'il s'était pourtant évertué à chercher pendant un bon moment -ou du moins, au départ. Mais au moins, maintenant, il n'était plus perdu tout seul. Ce qui était à la fois cool et un peu moins; Louis n'étant pas toujours de la plus agréable des compagnies -ce dont le griffon se foutait complètement, en fait. La preuve puisque c'est lui qui l'avait stalké pendant des... Mois ? Bref, je m'égare. Encore est-il qu'une fois énoncées les raisons de sa présence devant lui, Louis eu une réaction qui ne surprit pas outre mesure l'adolescent. Non, puisqu'il repartit dans une propagande anti-magique très bien cachée. Sauf que c'était presque agréable comme idée. Bon, après, le destin, il doutait un peu qu'il en ait quelque chose à faire d'un chaudron en étain et d'un manuel, ou quelques ingrédients, mais... Voilà. Callum ria, parce que c'est une habitude, chez lui.

- Ha ha, je vote pour. Et puis je suis sûr qu'elle serait heureuse de pas nous voir, Mme Mantis - c'est pas comme si j'avais failli faire péter la salle, la dernière fois...

Callum toussota. En fait si, il avait failli faire péter la salle. Presque. Ce n'est là qu'une toute petite hyperbole. Et puis le cours de potions, il aimait pas ça. Alors la colle c'était limite plus tentant. Même s'il se doutait que derrière ces paroles, Louis cachait un énième désir d'emmerder le monde magique -ou de lui chanter tout son amour. La tête blanche se contenta de hausser les épaules, à cette pensée. Il ne s'aventurait pas vraiment sur ce terrain là, pas avec le serpentard. Pas pour partir sur des discours passionnés et dégoulinants d’écœurement quant à cette magie qu'il exécrait tant. Tiens, un autre point sur lequel ils étaient diamétralement opposés.

Puis Louis reprit la parole, cette fois, commençant par une question rhétorique, pour développer ensuite son propos -encore cette amouuur pour la magie. N'empêche que pour le coup, c'était pas faux, et Callum approuva même d'un hochement de tête, l'air pensif. Les sorciers étaient capables de faire des trucs géniaux, qui faisaient briller ses yeux intensément et palpiter son coeur, mais pour ce qui était de réchauffer ce couloir à la température se rapprochant de celle d'un frigo, cela semblait relever de l'impossible. Et non, les hyperboles, c'est très bien d'abord. Pour autant, Callum gardait un sourire digne de celui des BN -c'est bon les BN-, et regardait autour de lui avec des paillettes dans les yeux.

Se perdre de nuit, alors qu'il fait froid, avec pour seule compagnie un ami qui râle tout le temps et aime rien, alors qu'on peut se faire choper à tout moment, c'est vraiment trop cool. Et ce sans la moindre once d'ironie.

Déjà, on aurait pu se demander si Callum était seulement capable d'ironie. Non. S'il savait ce que c'était. Bien sûr qu'il le savait. Et qu'il en usait. Parfois. Mais je m'égare -encore. Pour en revenir aux deux troisième année qui étaient plantés comme deux imbéciles à un carrefour glacé en pleine nuit, la question qui se posait alors était simple : que faire, à présent ? Où aller ? Comment s'y retrouver ? S'y retrouver ? Cela ne semblait pas être à l'ordre du jour pour le gryffondor, puisqu'il s'émerveilla -bruyamment, il s'émerveilla bruyamment- devant un couloir totalement inconnu et pas rassurant. Couloir totalement inconnu et pas rassurant qu'il ne manqua pas pour autant de désigner comme cool, avant de tirer Louis dans cette direction et de s'y engouffrer.

Bon, en cours de route, la porte mangea la cravate de son pote, qu'il continua de tirer jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il allait le tuer à cette allure, mais sinon, le trajet se passa sans encombre -trajet des plus longs puisqu'il s'agissait surtout d'une porte en fait. Une porte au bout d'un couloir de, disons, un mètre. Mais c'était un couloir quand même, d'accord ? Et que la porte, elle aimait la cravate de Louis, c'était très bien. Qu'elle le tue -il le tue- un peu moins. Pour autant, il ne s'attarda pas sur sa possible tentative d'homicide involontaire pour rentrer dans l'immense pièce sans la moindre gêne, ni crainte. Immense pièce meublée seulement par un truc avec un draps dessus, tout aussi immense. Bim, curiosité éveillée.

Louis sembla s'en inquiéter un peu, ou du moins, assez sceptique. Il savait pas trop. Il s'en foutait. Probablement. Callum, dont l'esprit de conservation était au moins aussi développé que celui d'un kamikaze, s'approcha du drap. La curiosité est un vilain défaut qui a permit d'immense progrès par le passé. Cela s'appelle la connaissance empirique.  Qui ne repose que sur des expériences passées. Or, celles de Callum étaient de toutes façon insignifiantes à partir du moment où leur dénouement c'était montré désagréable et contraire à sa survie. Donc, Callum tira le drap. Drap qui était couvert de tellement de poussière que Callum s'étrangla presque à tousser, et qui aurait pu s'apparenter à de la neige. Passant une main devant sa bouche en toussant, il lança un regard à Louis, puis à l'objet. Objet qui semblait être un miroir. Il comprenait pas trop. Une pièce entière, juste pour un miroir ?

- Hé, tu as déjà entendu parler de ç-- OH PUTAIN C'EST QUOI CA ?

Tout dans la discrétion et la poésie -c'est important la poésie. Il se rapprocha de la surface du miroir, ayant du mal à comprendre ce qu'il avait sous les yeux. Il se tourna vers son ami.

- Dis, tu vois ce que je vois ??

Ce qui tenait de l'explicitation pure et dure, parce qu'il est de notoriété publique que Louis était télépathe.

Louis devait avouer qu'il y avait un bon côté à avoir des... connaissances survitaminées, du genre sans peur et sans reproche, comme les héros de bande-dessinée ; ou comme Gandalf, dans son film préféré. Callum avait relativement le profil du bon hobbit : petit, joyeux, aventureux. Il allait peut-être le surnommer Merry. Ou Pippin. C'était à réfléchir. Est-ce que Callum connaissait le Seigneur des Anneaux, au moins ? Peut-être qu'il devrait lui offrir les DVDs à Noël.

Laissant ces réflexions de côté, Louis s'approcha prudemment du grand miroir qui venait de se dévoiler à leurs yeux, non sans jeter un petit coup d'oeil à Callum pour vérifier qu'il était en un seul morceau.
Visiblement, oui. Le cri qui lui assomma les tympans lui annonça qu'il était vivant, mais Louis s'inquiéta du pire.

- QUOI QUOI QUOI QUI T'ATTAQUE-... Louis s'arrête. Rien ne sort du miroir. Pas de rayon laser, pas de Smaug, pas d'avada kedavra, rien. Le petit Serpentard se renfrogne. Me fais pas peur comme ça, crétin.

Boudeur, Louis enfourna ses mains dans ses poches, vexé de s'être laissé avoir comme ça. Néanmoins poussé par sa curiosité d'enfant, le garçon se glissa à côté du Gryffonor, juste devant le miroir, histoire d'essayer de comprendre ce dont Callum parlait.
Et Louis devint d'un coup très pâle.

Il lui était impassible de s'arracher à l'image qui s'imposait à ses yeux. Cela lui était d'autant plus désagréable que cette image, il la connaissait ; tout au fond de lui, très loin, enterrée, et qu'il la reniait avec force et rage depuis le début.
Louis ne voulait pas se voir un sorcier accompli et heureux, entourer de son frère et de sa soeur, des magiciens tout aussi talentueux.
Louis ne voulait voir aucune magie. La magie ne devait pas exister ; pas en lui.

Toujours aussi livide, les lèvres un peu tremblante, Louis se tourna vers Callum.

- Arrête de regarder ! T'as pas à voir ça. C'est pas un truc qui te concerne. Je veux pas que tu vois ça.

En finalité, le petit Serpentard se montrait aussi elliptique que son camarade. Il ne se doutait pas un seul instant que la vision qu'ils avaient de leur reflet différait totalement, et que le pauvre Gryffondor ne devait rien comprendre à cette réaction, sans doute.