Dhanya n’avait pas l’habitude d’utiliser les moyens de transport sorciers, mais là, elle n’avait pas trop eu le choix : c’était poudre de cheminette ou transplanage, et comme elle n’avait jamais même tenu une baguette entre ses mains, disons que la seconde option n’était pas très réalisable. Elle avait bien rêvé un moment ou deux d’aller se promener à Pré-au-Lard au bras de Lester, sous le soleil de juin, mais elle n’oserait jamais lui proposer une telle chose. Surtout qu’en plus, il se déboiterait l’épaule à essayer de lui tenir le bras. Non vraiment, qui voudrait d’un rendez-vous avec une demi-géante ?

Alors, elle avait mis sa plus jolie robe, rose à fleurs, et était rentrée tant bien que mal dans sa cheminée (qui n’avait définitivement pas été prévue pour les demi-géants, elle était toute contorsionnée et s’était cognée contre l’âtre une bonne demi-douzaine de fois) et avait annoncé d’une voix claire : « Pré-au-Lard ! ». Et la voilà arrivée dans le petit village sorcier. C’était bien différent de Londres, plus calme, plus tranquille. Il y avait beaucoup de jeunes gens aussi, des élèves de Poudlard en sortie, et ça la rendait un peu mélancolique, Dhanya. Elle aurait adoré aller étudier dans une école de magie elle aussi, quand elle en avait l’âge… Mais bon, déjà, il fallait qu’elle soit contente d’avoir survécu tout ce temps en Inde, alors être acceptée dans une école sorcière, elle pouvait toujours rêver.

Elle se balada un peu au détour des rues, flânant, profitant de l’air pur, mais soudain, elle se rendit compte qu’elle n’était plus sûre de savoir où elle était. Elle était dans une toute petite ruelle un peu sombre, et elle ne savait plus trop d’où elle venait. Elle n’avait jamais eu un bon sens d’orientation, Dhanya, mais là c’était le pompon ! Se perdre dans un village minuscule comme Pré-au-Lard ! Elle s’adossa à un mur, un peu désespérée. Il n’y avait que peu de passants, et elle n’osait pas leur demander son chemin. Tout ce qui tournait dans sa tête, c’était qu’elle était perdue, que c’était de sa faute, qu’elle n’arriverait jamais à s’intégrer dans la société sorcière. Qu’elle était une hybride, un monstre. Elle soupira. Qui pourrait bien vouloir aider une demi-géante ?

Dhanya avait mis sa plus jolie robe pour sortir ce jour-là. Rose, pleine de froufrous et de petites fleurs blanches, recouvrant tant bien que mal ses épaules de catcheuse, elle avait mis le paquet pour paraître le moins impressionnante possible et ne faire peur à personne. Elle voulait juste être une dame comme une autre, une sorcière normale, pas une bête de foire. Ce n’était pas gagné. Même dans cette tenue les gens la regardaient passer avec de grands yeux ronds. Peut-être que c’était aussi pour ça qu’elle s’était isolée dans les rues adjacentes. Elle avait l’habitude des ruelles peu peuplées.

Ca lui revenait en pleine face, l’Inde, les regards carrément agressifs qu’elle devait supporter si elle se risquait dans une rue marchande. Alors elle se terrait comme un rat dans les allées sombres, elle se faisait oublier, elle cachait la misère de sa condition. Elle ne voulait faire de mal à personne, Dhanya. Ca lui faisait si mal de se voir dans les yeux des autres.

Et puis, elle sentit quelqu’un la tirer par la manche. Elle baissa les yeux et tomba nez à nez avec un petit jeune homme qui avait l’air tout droit sorti de Poudlard. Un petit jeune homme qui l’avait appelée Mademoiselle. Mademoiselle. Le mot faisait écho dans la tête de Dhanya, qui n’arrivait pas à croire qu’on la prenait enfin pour une demoiselle, pour une jeune fille, et pas pour un monstre. Elle eut un large sourire un peu timide, qu’elle n’osait pas trop faire, mais c’était plus fort qu’elle.

« Je… Je ne retrouve plus mon chemin. Vous connaissez cet endroit ? C’est la première fois que vous venez vous aussi ? »

Elle avait bien envie de rester un peu plus longtemps avec ce charmant jeune garçon.

Le petit jeune homme avait l’air bien serviable. Il lui venait en aide comme ça, sans qu’elle ne lui ait rien demandé, et c’était vraiment très gentil. Elle n’avait pas l’habitude d’autant d’égards de la part d’inconnus. Elle commençait à mieux apprécier sa sortie à Pré-au-Lard, le beau ciel bleu et toutes ces choses, même s’il faisait toujours un froid pas possible pour un mois de juin. Elle était une touriste. Une vraie de vrai, avec des sous (un peu) et même une paire de lunettes de soleil, dans son sac, mais elle avait lu dans un magazine féminin qu’elle avait des yeux qu’il valait mieux mettre en valeur, alors elle ne savait plus sur quel pied danser.

Elle écouta avec une attention polie la réponse de son interlocuteur, qui avait l’air de bien connaître le coin, en fait. Il ferait un guide merveilleux, mais elle n’osait pas le lui demander. Il devait avoir mieux à faire, après tout. C’était dommage… Et puis, comme ça, sans préambule, il le lui proposa de lui-même. C’était vraiment quelqu’un de très gentil, Dhanya ne savait plus où se mettre tant elle était contente. Quelqu’un voulait l’aider ! Elle était une touriste ! Une vraie ! Elle fut légèrement prise au dépourvu par le tutoiement qu’employait le petit jeune homme, surtout qu’elle, elle l’avait vouvoyé - quelqu’un d’autre aurait sûrement pris ça comme une marque d’irrespect ou d’infantilisation, mais Dhanya n’y pensa pas plus que ça. C’était le genre de choses qui ne faisait qu’une apparition surprise dans son esprit une fois de temps en temps avant d’être ravalé par une vague d’optimisme.

« Oh, ce serait super ! » Dit-elle de sa voix profonde, les mains jointes et des étoiles dans les yeux. « Oui, haha, je ne suis vraiment pas beaucoup habile. Merci beaucoup de bien vouloir m’aider. Où tu vas toi quand tu es tout seul ? Tu as des amis à Poudlard ? Tu es dans quelle maison ? Tu as une baguette ? Tu sais t’en servir ? Tu… »

Puis Dhanya s’interrompit brusquement, se rendant compte qu’elle avait assommé son interlocuteur de question. Elle eu un rire grave mais tout gêné, elle se gratta la tête, n’osant plus trop regarder le jeune homme dans les yeux.

« Désolée… » dit-elle d’une voix qu’elle voulait petite. « Je suis très curieuse. Je ne viens pas d’ici, je ne suis pas allée à Poudlard, alors je me pose des questions. Tu n’es pas obligé de répondre. »

Elle espérait ne pas avoir gêné le petit jeune homme outre mesure.