Flavian n'était pas vraiment de bonne humeur. Rien ne se passait comme prévu ces jours-ci. Il avait du mal avec les cours en ce moment, et il avait raté celui de Divination, que la professeur avait déplacé à neuf heures dans le parc pour on ne sait trop quelle raison. Il perdait tous ses duels, le dernier en date contre une gamine (une gamine !) de Poufsouffle. Et puis aujourd'hui, en ayant provoqué un autre élève dans les couloirs pour se passer les nerfs dessus, il s'était mangé un méchant confundo dans les dents, et ne se sentait pas tout à fait bien. Bref, rien n'allait. Ce n'était pas grave, en fait, juste des broutilles, des petits embêtements, mais mis bout à bout tout ça lui pourrissait la journée, et Flavian était énervé. Il avait envie que ça s'arrête un peu. Il aurait bien aimé une pause. Qu'on lui fasse des vacances.

Alors il était parti faire des gâteaux dans les cuisines du château. Ce n'était pas vraiment le moment, les elfes avaient sûrement du boulot plein les pattes, mais il s'en foutait. Il aimait faire des gâteaux. Ca lui rappelait la maison. Sa mère, et la pâtisserie où elle travaillait. Ca lui rappelait plein de bons souvenirs, et ça le calmerait sûrement un peu. Ca allait être bien, il le sentait.

Il avait gratouillé la poire du gros tableau qui cachait l'entrée aux cuisines, avait lancé un regard circulaire dans la salle pour repérer tout ce dont il aurait besoin, il avait poussé sans trop de ménagement quelques elfes pour mettre la main sur un bol, un fouet, une poche à douille, une plaque, un tablier, tout, et il s'était équipé. Et puis il s'était lancé.

Au début, rien n'avait pas marché comme il voulait. Il avait réussi à cramer la pâte à choux (et il avait fallu qu'un elfe fasse un tour de magie pour sauver sa recette) et il avait galéré à garnir la poche à douille, il s'en était mis plein les doigts. Flavian avait râlé tout le long. Mais ensuite, les choses se passèrent mieux. Il avait enfin réussi à se détendre, les gestes mécaniques du travail lui étaient revenus, et il s'était mis à dresser la pâte à choux, formant des petites boules de pâte régulières sur la plaque, et il se sentait un peu comme à la maison maintenant, où tout était tranquille, où il était plus calme, parce qu'il n'avait plus besoin de se donner une contenance tout le temps, de faire le dos rond devant les absurdités du système scolaire, Flavian se calmait peu à peu, délaissant ses frustrations en faisant des petits choux.

Ce moment magique ne dura pas longtemps.

Il fallait toujours que quelque chose ne se passe pas bien. Il fallait qu'une autre élève débarque, parce que quinze heures ce n'était pas l'heure du repas mais elle avait faim quand même, et le dérange en plein travail. Jamais tranquille dans ce château ! Déjà qu'avec les elfes qui couraient tout autour de lui, c'était dur de se concentrer. En plus, en plus ! C'était la gamine rousse du club de duel, qui l'avait aspergé de sorts gentillets et de bon sentiments et avait fini par gagner on ne sait trop comment, par chance sûrement, frustrant Flavian dans ses espoirs de victoire. Il n'avait pas envie de la revoir, celle-là. C'était une imbécile heureuse qui n'avait jamais l'air de ressentir d'autre émotion que celle du sourire béat, pas même lorsqu'elle se mangeait un flipendo en pleine face, et dans sa bonne humeur insupportable elle allait sûrement vouloir lui parler et lui dire bonjour et lui parler du duel parce qu'ils n'avaient rien d'autre en commun, et Flavian en était déjà agacé, de nouveau de mauvaise humeur, et en train de se rendre compte que faire des gâteaux, ça n'avait servi à rien, et que ça n'allait pas être aujourd'hui qu'il allait pouvoir être tranquille.

Il la regardait fixement, l'air mauvais, son tablier à coeurs noué autour de la taille, sa poche à douille entre les mains, immobile, en train d'essayer de la faire fuir du regard. Dégage sombre abrutie. Dégage.

C'était une chouette journée, pleine de promesses. Il faisait un peu moche, et elle avait encore reçu un Désolant à son devoir de sortilège, mais après tout, pourquoi s'en faire ? Il en faut peu pour être heureux ! Wendy était allée lire dans la bibliothèque, comme d'habitude quand elle n'était pas avec Juliet, et elle lui manquait un peu, Wendy. Mais elle se rassérénait en se disant que du coup, elles auraient plein de choses à se raconter le soir venu. Et puis, c'était une bonne occasion de surprendre son amie en allant chercher ses pâtisseries favorites dans la cuisine. Elle souriait d'avance à l'idée de la joie de Wendy quand elle découvrirait le cadeau qu'elle lui avait fait, et ça, ça valait son pesant de chocogrenouilles.

Elle se rendit donc aux cuisines, en gambadant presque, c'était une jolie journée. Elle fit des chatouilles à la poire - c'était quand même marrant de devoir faire des chatouilles à un tableau pour rentrer dans une pièce ! Voilà une des nombreuses raisons pour lesquelles elle adorait le château magique. Toujours une nouvelle merveille à découvrir, toujours plein d'étonnements et de mystère. Elle rentra dans les cuisines et son salut général aux elfes se coinça dans sa gorge. Il y avait déjà un élève ! Et vue sa dégaine, impossible de le confondre. C'était son plus récent partenaire de duel. Comment s'appelait-il déjà ? Il avait un prénom qui ressemblait à celui de la prof de potions qui la terrifiait tant. Pavlova ? Non. Ah, oui. Flavian. Il avait eu l'air gentil lors du duel, à l'encourager autant, et c'était même sûrement grâce à lui qu'elle avait gagné, en reprenant confiance en elle. Elle lui fit donc un grand sourire, contente de le retrouver. Lui par contre, il avait l'air d'avoir avalé une chaussette sale.

Elle se demanda pourquoi il lui lançait un regard aussi peu amène, comme ça, mais elle ne savait vraiment pas. Alors elle haussa les épaules et lui fit un signe de la main.

"Bonjour ! Tu vas bien ? Tu te souviens de moi ? Je suis Juliet. On a fait un duel ensemble."

Oui, voilà, ça devait être ça, il devait avoir oublié qui elle était, et le lui rappeler était un moyen sûr de s'attirer ses bonnes grâces. Après tout, il avait eu l'air de bien l'aimer lors du duel. Elle dit aussi bonjour aux elfes qui entouraient Flavian, et qui semblaient éviter le sorcier avec soin, en saluant un ou deux au passage par leur nom. Elle ne remarqua pas l'expression d'horreur des elfes lorsqu'elle était rentrée dans leur cuisine, ni qu'ils se mirent tous à déplacer les récipients qui étaient ne serait-ce qu'un peu en équilibre. Ils la connaissaient bien, Juliet.

La petite sorcière remarqua alors ce que faisait Flavian dans les cuisines. Il cuisinait ! Comme les elfes ! C'était très inattendu, elle ne savait pas que les étudiants avaient la permission de faire ça à Poudlard. En plus, il avait l'air de bien s'y prendre, ses trucs en pâte à gâteau étaient tous de la même taille et bien alignés sur la plaque. Tout à coup, une idée de génie traversa l'esprit de Juliet. Et si, avec l'aide de Flavian, elle réalisait elle-même les pâtisseries qu'elle voulait offrir à Wendy ? Ce serait un cadeau encore plus intéressant ! Toute fière de son idée, elle en fit part à Flavian.

"Oh, est-ce que tu sais faire les religieuses au chocolat ? C'est la pâtisserie préférée de mon amie, et je voudrais lui en faire pour lui faire plaisir, tu veux bien m'aider ? Je ne sais pas cuisiner mais j'apprends vite ! Ca a l'air rigolo ce que tu fais."

En plein dans le mille. La petite avait complètement ignoré ses menaces silencieuses, et s'était avancé vers lui, un grand sourire accroché à son visage, pour le saluer. Flavian n'allait pas pouvoir se débarrasser d'elle facilement, il le sentait.

"Bonjour." fit-il d'une voix froide. "Je me souviens. Flavian." Il s'était présenté rapidement, espérant couper court à une conversation qu'il n'avait aucune envie de mener.

La gamine fit bonjour aux elfes d'une voix tout aussi enjouée, et le grand garçon regarda avec une pointe d'étonnement les elfes planquer tout le matériel dangereux loin d'elle. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Qu'elle était maladroite en plus ? Ca s'annonçait bien …

… Et d'ailleurs ça continuait. Voila que Juliet lui demandait d'apprendre à cuisiner. Et puis quoi encore ? Il voulait être tranquille, Flavian. Il avait aucune envie de l'avoir dans les pattes. Il allait l'envoyer balader avec un refus bien senti quand il sentit quelque chose se bloquer dans sa bouche.

C'était quoi le mot déjà ? Le contraire de oui. Celui qui disait "je veux pas t'aider". Il s'en souvenait plus. Sa tête lui tournait soudainement. Il avait le sentiment que le sort qu'il avait reçu tout à l'heure n'était pas tout à fait dissipé. Il savait plus ce qu'il voulait dire. Il essaya quand même.

"… Oui."

Ce n'était pas ça ce qu'il voulait dire, mais c'était comme s'il n'avait pas eu le choix. Il fronça les sourcils. Qu'est-ce qui lui arrivait ? Il avait voulu envoyer promener la petite, et voila qu'il acceptait de l'aider ! C'était comme s'il ne pouvait plus lui dire non. C'était très frustrant. Chouette journée.

"T'as jamais rien fait en pâtisserie ?"

Il avait peur de la réponse. Il allait se retrouver avec une débutante complète sur les bras, et il allait devoir la guider dans toutes les étapes d'un truc pas forcément évident à faire du premier coup. Il la sentait mal, cette histoire. Il voulait lui dire non. Il essaya.

"…"

Il avait mal à la tête. Est-ce qu'il voulait bien l'aider ? Il se souvenait plus. Il allait faire avec. Il y avait toujours la place sur la plaque, il pouvait lui dresser quelques religieuses, lui montrer comment faire, ça ne serait pas si terrible, deux-trois trucs et elle serait contente et hop ! On n'en parlerait plus. Oui. Voila. C'était bien. Il voulait lui dire quoi déjà ?

Il était vraiment de mauvaise humeur du coup. Ca se passait pas comme il voulait, cette histoire. Ca lui pourrissait un peu plus la journée. Pourquoi est-ce qu'il avait fallu qu'elle débarque comme ça dans la cuisine pour venir l'emmerder ? Il se sentait forcé de l'aider, mais il n'allait pas y mettre la moindre once de bonne volonté. Il n'allait pas être gentil avec la petite.

"Mais tu fais pas de conneries." commença-t-il, tentant de récupérer un peu le contrôle de la situation. "Sinon c'est un flipendo dans ta face. Compris ?"

Il se souvenait d'elle ! Juliet ne savait pas si elle avait fait une impression durable sur le jeune sorcier, qui était un grand, et en plus très fort en duel, alors elle était très contente qu'il ne l'ait pas oubliée. Il lui rappela son prénom lui aussi, et elle agrandit son sourire. Il pensait lui aussi qu'elle avait pu oublier son nom, il la considérait donc, en quelques sortes, sur un pied d'égalité. C'était bien plus que ce que lui donnaient la plupart des grands et tout cela conforta Juliet dans l'idée que cette journée allait être géniale.

"Oh oui, je me souviens ! Merci de m'avoir aidée d'ailleurs, sans toi j'aurais sûrement perdu."

Le garçon, qui faisait des petits gâteaux (non seulement il était fort en duel, mais en plus il était un artiste ! et tellement original, c'était pas commun pour des garçons de faire des petits gâteaux), lui faisait une grande impression. Elle se sentait un peu comme quand elle avait rencontré Kalev, des étoiles dans les yeux et prête à tout pour impressionner. Il accepta même de l'aider à faire de la pâtisserie !

"Euh…" Elle réfléchit longuement. "J'ai fait un gâteau au chocolat avec ma grand-mère, une fois." Dit-elle, toute fière, comme si elle se découvrait un point en commun avec le grand. "Ca compte ? J'ai même fait fondre le chocolat !"

Elle s'approcha de la table où Flavian travaillait, et observa avec la plus grande attention le plateau de petits choux qu'il avait préparé. Elle approcha ses doigts d'un des petits monticules de pâte soigneusement agencé, se demandant quel goût ça pouvait avoir - sûrement très bon - quand Flavian se remit à parler. Elle retira très vite sa main en rougissant, sans savoir s'il l'avait vue. Elle avait eu l'impression d'être aussi rapide qu'un serpent prêt à mordre. Mais ce ne serait pas la première fois qu'elle se tromperait à propos de ce genre de choses. Il avait un langage pas très châtié, Flavian, mais ça ne faisait qu'impressionner Juliet encore plus. C'était un rebelle ! Il disait même des gros mots ! Elle acquiesça avec un air très sérieux qui ne lui allait pas du tout. Et qu'elle ne tarderait pas à perdre. Elle ne se souvenait pas de ce que ça faisait, un flipendo, et elle se demandait si c'était une blague, ou si Flavian mettrait sa menace à exécution.

"Compris !" Fit-elle, ayant évidemment l'air de considérer la menace comme une façon de parler.

Il était très intéressant, Flavian. Il n'avait pas l'air gentil et débonnaire de Kalev, mais il avait l'air d'être ce genre de personne qui se donne des airs de brute pour cacher un coeur de bisounours. Comme s'il faisait semblant de ne pas vouloir de compagnie, mais qu'au fond, il aimait bien Juliet et voulait bien lui apprendre ce qu'il savait. Elle en avait de la chance, de tomber sur tous ces gens sympathiques, Juliet. Et elle s'efforcerait d'être efficace et de ne pas faire trop de bêtises tant qu'ils feraient les gâteaux. Elle remonta ses manches, attrapa un tablier elle aussi - il lui tombait jusqu'aux pieds, preuve que Juliet et Flavian n'étaient pas les seuls sorciers à faire la cuisine avec les elfes - et le noua autour de sa taille.

"On commence par quoi ?"

Un gâteau avec sa grand-mère. Une fois. Et elle avait fait fondre du chocolat, bravo. Et elle voulait faire des religieuses ? Elle allait jamais y arriver. Flavian sentait que ça s'annonçait mal, qu'il allait devoir tout faire, et qu'elle ne ferait que le gêner dans son travail. Il considéra l'idée de refiler la tâche à un elfe pendant un instant, mais il savait que c'était impossible : avec le regard admiratif et émerveillé qu'elle lui lançait (et qu'il avait bien du mal à comprendre) il était clair que la petite voulait faire un gâteau avec lui.

Et il arrivait pas à dire non. Il était coincé. Obligé de l'aider.

La gamine avança un doigt vers sa pâte à choux. Dans l'intention claire de l'enfoncer dedans et de revenir le mettre dans sa bouche pour goûter ce qu'il avait fait. Il en resta presque immobile de stupeur. Elle allait quand même pas faire ça quand même ? Il se reprit très vite, et la gronda presque, lui disant qu'elle n'avait pas intérêt à faire de bêtises. Comme goûter de la pâte à choux crue (c'est dégueulasse en plus). Juliet retira vite son doigt, rougit un peu, fit un "compris" qui montrait qu'elle avait pas compris, se noua un tablier autour de la taille, et se déclara prête à commencer.

On commence par quoi demanda-t-elle. Flavian leva les yeux au ciel. Par remettre les pendules à l'heure tout d'abord.

"Quand j'ai dit pas de conneries, je voulais dire que tu mets pas tes doigts dans la pâte, t'évites de tripoter les trucs pour voir ce que ça fait, tu m'embêtes pas avec tes questions, tu te tiens à carreau, mais surtout tu mets pas tes doigts dans la bouffe. Ils t'ont appris quoi tes parents ? Bon."

Bon. L'avantage avec les religieuses, c'est que la pâte à choux, il l'avait déjà fait, y'avait plus qu'à la dresser. Ca devait pas être trop difficile, pour une débutante, de dresser de la pâte à choux. Enfin il espérait. Il était pas sorti de l'auberge.

"Regarde." lui ordonna-t-il.

Flavian lui montra les gestes. Il prit la poche à douille, la remplit, la ferma d'une main, et de l'autre la dirigea en appuyant pour former les religieuses. Une grosse boule de pâte pour le corps, une plus petite pour la tête. Voila. C'était simple. Il avait été clair et efficace. Elle avait sûrement compris.

"Voila. Ca fait une religieuse. Tu fais pareil." conclut-il sans plus d'explications.

Il vida la poche à douille dans le bol avec le reste de la pâte à choux et la lui tendit. Qu'elle se débrouille. Il espérait beaucoup qu'elle s'amuse assez et le laisse tranquille. Il y avait une demi-douzaine de religieuses à faire, ensuite ils allaient les mettre au four, en attendant ils feraient la crème, et voila, et ce serait vite fini, il pourrait partir, il n'avait déjà plus envie d'être là, elle lui avait un peu gâché son plaisir. Mais au fond de lui-même Flavian sentait que ce ne serait pas aussi simple. Il avait un mauvais pressentiment.

Juliet se mit à rougir comme une pivoine lorsqu'elle se rendit compte que Flavian avait repéré son manège avec la pâte à choux. Il aimait les règles, Flavian. Il lui en donnait plein, et la petite sorcière acquiesçait avec un air très sérieux qui n'allait pas du tout avec le petit rire nerveux qui s'échappait de ses lèvres. Ses parents aussi, à Juliet, ils aimaient beaucoup les règles. Ne met pas tes pieds tous boueux sur le tapis, ne ramène pas d'escargots dégoûtants à la maison, arrête de rire quand on te parle, fais tes devoirs, si t'as fini tes devoirs fais plus de devoirs, repasse ton linge, regarde-moi quand je te parle… C'était fatigant, toutes ces règles tout le temps. Mais c'était tellement fréquent que Juliet se prenait à les considérer comme des marques d'affections, à force. Mais avec Flavian c'était différent, elle ne se sentait pas comme à la maison, elle avait plus l'impression d'être un commis débutant dans un grand restaurant avec un chef pâtissier qui prenait son travail très au sérieux. Alors elle s'efforça de se souvenir de tout ce que lui disait Flavian. Elle aimait jouer à faire semblant Juliet, et elle n'avait encore jamais fait semblant d'être pâtissière. Ca allait être drôle.

Elle se glissa à côté du grand, et se dit que c'était une bonne idée d'attacher ses cheveux. Elle sortit un vieil élastique un peu distendu de sa poche et s'affaira à réunir sa chevelure en une queue de cheval approximative, qui, elle en était sûre, lui donnait un air plus sérieux. En même temps, c'était pas difficile. Pendant ce temps-là, elle regardait avec attention les gestes élégants et tout en finesse du grand, avec pas mal d'admiration. Elle savait ce qu'elle voulait faire plus tard, plus tard, elle voulait être Flavian ! Bon, la veille c'était Kalev, mais ça n'avait pas d'importance. Elle était toute admirative devant le caractère bougon mais, au fond, très gentil et sympathique du grand. Après tout, il avait accepté de l'aider, non ? Et puis il était tellement chouette ! Il faisait des gâteaux ! Qu'y avait-il de plus noble au monde ? Il faisait de l'art, et, qui plus est, de l'art comestible. Il avait tout pour parler au petit coeur de Juliet.

Bon, ce n'était pas tout, il fallait qu'elle s'y mette, à faire ses religieuses ! D'un geste un peu hésitant, elle se saisit de la proche à bouille, essaya d'imiter les mouvements assurés de Flavian en la remplissant… Mais finit par s'en mettre plus sur les mains que dans l'instrument. L'ouverture qu'elle faisait était trop petite pour permettre à la pâte de rentrer, et elle galéra pendant un bon moment avant que son truc soit rempli au tiers. Quand ce fut fait, elle ne se sentit pas de joie et fut toute contente de pouvoir commencer à former, elle aussi, d'élégants petits monticules de pâte à chou sur la plaque. Elle y mit tellement de bonne volonté qu'elle serra trop fort et toute la pâte accumulée dans la proche à bouille jaillit tout d'un coup. Les petits choux, la première religieuse, tout fut, sinon détruit, au moins bien amoché. La petite sorcière rougit de nouveau et lança un regard d'excuse à Flavian… Et, sans y penser, serra de nouveau son instrument. Qui laissa tomber la dernière goutte de pâte… Pile sur la robe de sorcier de Flavian.

"Oups. Euh… Je vais nettoyer ! Je vais nettoyer. Euh… Euh... Euh..." Juliet aimait beaucoup Flavian, mais même elle n'était pas assez bête pour penser qu'il allait subir ça sans rien dire. Alors, elle s'agita, cherchant très vite dans son esprit ce que c'était, ce fichu sortilège de nettoyage. "Evanesco !" Dit-elle en pointant sa baguette sur la tache. Enfin. Sur la robe ou était la tache.

Juliet ne s'était pas rendu compte qu'elle avait confondu le sortilège de disparition avec celui de nettoyage.

Flavian se retrouva en caleçon.

[dis-moi si ça te va pas, j'éditerai, surtout la dernière partie x) ]

Flavian resta interdit pendant cinq bonnes secondes. C'était pas possible. Tout simplement pas possible. Il rêvait, c'était sûr. On pouvait pas être aussi bête. Non.

Et puis il explosa. La colère monta, d'abord imperceptiblement, puis de façon plus visible, son visage se déforma, il brandit sa baguette, il lui aurait bien foutu une baffe monumentale, à la petite, mais c'était une petite, elle ne pouvait pas vraiment se défendre contre lui, et Flavian n'attaquait pas plus petit que soi, enfin, pas souvent. Il brandit sa baguette vers la jeune Poufsouffle et beugla :

"EXPELLIARMUS !"

Il fallait absolument lui retirer cet objet de malheur des mains. Histoire qu'elle fasse pas plus de conneries avec. Parce que là, elle en était plus maladroite, elle était presque dangereuse avec. C'était quoi la prochaine bourde qu'elle allait faire, un expulso à la place d'un rictusempra ? Personne ne pouvait être aussi con avec une baguette à la main ! Fallait la lui enlever. Mais il était toujours en colère, et il n'en avait pas fini avec elle.

"MAIS T'AS QUOI DANS LA TËTE ?" gueula-t-il. "T'ES NEE COMME CA OU ON T'A BERCEE TROP PRES DU MUR ? JE SAIS PAS CE QUI ME RETIENS DE TE CASSER LA GUEULE, TU VAS VOIR, JE VAIS TE … AAARGH !" Il se retint à grand-peine. Il en avait bien envie, de lui casser la gueule, un peu, histoire de lui faire rentrer quelque chose dans le crâne. On ne faisait pas disparaître les habits des gens !

D'ailleurs il était toujours en caleçon. Plutôt que d'exploser encore sur la petite, il retourna son exaspération sur un des elfes de maison qui traînait là. Il y en avait plein, ils pourraient sûrement arranger le problème, un peu.

"Toi là !" aboya-t-il. "Un uniforme de garçon de Gryffondor ! Et plus vite que ça !"

L'elfe s'exécuta avec un petit air surpris et peiné, et disparut dans un claquement de doigts. Il allait revenir avec ce qu'on lui avait demandé, il fallait juste attendre un peu. Flavian n'avait pas envie d'attendre, mais il ne pouvait rien faire d'autre.

"Tu récupères cette baguette et je te tue." fit-il d'une voix trop calme, qui contenait sa colère avec difficulté, en se retournant vers Juliet. "Tu n'en as pas besoin de toutes façons." Il fallait qu'il se calme. Il redevint silencieux.

Il se retourna vers la plaque de pâte à choux et entreprit de récupérer le bordel qu'elle avait créé. On ne pouvait rien sauver, il fallait tout recommencer, mais ça, à la limite, ce n'était pas grave, il s'était attendu à ce qu'elle n'y arrive pas, il aurait compris si elle en avait juste mis tout partout, il ne se serait pas fâché si elle avait aussi tâché ses vêtements, mais là … Bref. Il fallait qu'il se calme.

Il prit la corne, un instrument plat en forme de demi-cercle qui servait à racler la pâte, et entreprit de tout remettre dans le bol. Avec des grand gestes énervés. En lançant presque la pâte à travers le plan de travail. Il en aggravait presque la situation, et ce n'était que son expérience qui l'empêcha de tout ruiner complètement. Travailler, ça le calmait, normalement, pourtant. Mais non. Pas cette fois-ci.

L'elfe finit par revenir et le garçon prit les vêtements avec un air exaspéré, sans même un merci. Il se rhabilla bien vite, remit un tablier et tourna le dos à la petite. Il ne voulait pas la voir. Il faisait de son mieux pour l'ignorer. Il espérait un peu qu'elle parte d'elle-même. Enfin, il espérait beaucoup.

Juliet avait fait une bêtise. Une grosse, grosse bêtise. Flavian lui avait bien dit de faire attention et plein d'autres trucs ! Bon, il ne lui avait pas dit précisément qu'elle ne devait pas faire disparaître ses vêtements. Mais ça allait un peu de soi, en fait. Ca devait être le sous-texte de toutes les conversations du monde : s'il te plaît, ne fais pas evanesco sur ma robe, je l'aime bien, et on se connaît pas assez pour que tu me voies en caleçon. Alors oui, Juliet s'attendait un peu à ce que le ciel lui tombe sur la tête et qu'il l'assomme comme pendant leur duel et qu'il ne lui parle plus de toute la vie entière. Mais elle sursauta quand même quand il cria un sort, elle ferma très fort les yeux, s'attendant à se réveiller par terre… Mais non. Sa baguette lui fila des mains et, sous la force du sort, alla voler de l'autre côté de la salle - dans une grande marmite qui semblait cuisiner du pot-au-feu, à la grande surprise de l'elfe de maison qui s'en occupait. Sa baguette allait cuire ! Elle l'aimait bien, sa baguette de sorcière, Juliet. Elle grimaça un peu. Mais elle n'eut pas le temps de trop penser à tout ça.

Flavian s'était mis à lui passer un savon. Un sacré savon. Et il avait la voix qui portait, Flavian, et il criait vraiment fort, alors ça lui faisait un peu peur, à Juliet, même si elle savait qu'elle l'avait bien mérité. Mais elle n'avait pas fait exprès ! Elle n'osa pas dire ça, ni rien d'autre, et regarda Flavian s'énerver avec de grands yeux ronds comme des soucoupes. Il ne l'aimait plus ? Il ne voulait plus la voir ? Il ne serait jamais son maître pâtissier juste mais exigeant qui la guiderait sur les chemins de l'art du manger ?

Il détourna son attention d'elle et c'était presque pire. Elle s'en voulait, Juliet, et pas qu'un peu. Elle avait rencontré un grand très gentil qui voulait bien faire la cuisine avec elle et puis elle l'avait mis en colère, elle n'était vraiment pas douée. Et puis, elle voulait être son amie, à Flavian ! Mais maintenant, il ne voudrait jamais. C'était bête quand même, de confondre un sort comme ça, pourtant c'est pas difficile la magie, enfin si un peu mais pas tant que ça ! Elle était vraiment nulle sur ce coup. Et la promesse d'une jolie amitié qui s'en allait sur ses petites ailes de moineau à l'horizon comme ça… Elle avait presque envie de pleurer. Elle renifla très fort.

Flavian avait sûrement cru l'entendre bouger, parce qu'il lui parla à nouveau, d'une voix toute calme, qui faisait presque aussi peur que sa grosse voix de garçon fâché. Elle renifla de plus belle et essuya une ou deux larmes qui lui coulaient des yeux. Elle sentait que si le grand la voyait pleurer, loin de le calmer, ça ne ferait que l'agacer davantage, et elle ne voulait pas paraître faible devant quelqu'un qu'elle admirait comme ça. Alors elle passa sa manche sur ses yeux, renifla un bon coup, et adopta une mine contrite mais pas triste. Enfin, elle essaya.

Et puis elle se rendit compte de quelque chose qu'il avait dit. "Tu n'en auras pas besoin de toutes façons". Mais… Mais si, elle en aurait besoin, de sa baguette ! Il y avait les cours, et puis les devoirs, et puis elle était une sorcière, qu'était une sorcière sans sa baguette ? A moins que… Une toute petite lueur d'espoir pointa son nez. Peut-être qu'il voulait dire qu'elle n'en aurait pas besoin ici. Dans la cuisine. Pour faire les gâteaux. Donc il voulait bien qu'elle reste encore ! Mais c'était merveilleux ! Enfin, elle espérait quoi. Elle n'allait pas non plus se faire des films pour une tournure de phrase, c'était pas son… Qu'est-ce que je raconte ! Bien sûr que c'était son genre !

Il commença à essayer de rattraper le bazar qu'elle avait fait sur la plaque et elle le regarda faire. De loin. Elle n'osait pas trop s'approcher encore, le souvenir de ses cris résonnait encore dans sa tête. L'elfe qu'il avait envoyé chercher une robe apparut avec un petit "plop !" et Flavian se rhabilla. Peut-être qu'il lui avait pardonné, du coup ? Prudemment, elle s'approcha de la table où travaillait le grand, se glissa comme une ombre (en un peu plus bruyant) à ses côtés, et observa ses gestes pendant un moment, avant de demander, d'une toute petite voix :

"Tu me remontres comment on fait ?"

Flavian leva les yeux au ciel. Bien sûr qu'elle n'était pas partie. Elle était trop contente d'être ici pour partir. Elle semblait beaucoup trop l'admirer (ce qui était franchement bizarre) pour ça. Et elle avait l'air d'être le genre de personne pour qui manger des gâteaux, c'est très important. Elle ne partirait jamais.

Il essaya de lui dire non de nouveau, et aussitôt sa tête se mit à tourner, sans même qu'il ait pu ouvrir la bouche cette fois. Flavian posa une main sur la table et la deuxième sur sa figure, massant ses yeux. Bordel, est-ce que ce cauchemar allait continuer encore longtemps ? Qu'est-ce qu'il avait fait à Merlin pour se retrouver babysitter d'une gamine aussi maladroite et incapable et dangereusement stupide avec une baguette dans les mains ?

Et vu comme elle était douée, il en avait encore pour longtemps. Il n'était même pas sûr qu'elle le lâcherait, après. Ses espoirs d'en finir vite s'envolaient peu à peu, et il les regardait partir avec une pointe de tristesse.

Il finit par regarder la petite en face de nouveau. Longtemps.

Il n'avait pas le choix.

"Bon, je te remontre. Tu fais pas de conneries cette fois." la prévient-il. "Tu laissais pas une ouverture assez grande pour mettre de la pâte dans la poche à douille, c'est pour ça que tu galérais et que t'en foutais plein partout. Et tu appuyais trop fort, mais ça tu t'en es rendu compte. J'espère. Vas-y doucement. Je te montre."

Autant lui expliquer pourquoi elle avait tant galéré, elle s'en sortirait peut-être plus vite cette fois-ci. Toujours de mauvaise humeur, Flavian reprit ses instruments de travail, et forma de nouveau trois religieuses, trois grosses boules de pâte pour la base de la pâtisserie et trois plus petites pour la tête. Juliet avait assez de place pour faire le reste, même si elle se foirait lamentablement, et il serait là pour récupérer les erreurs qu'elle allait faire. Ils allaient peut-être réussir à avancer cette fois. Enfin. Peut-être.

Flavian tendit la poche à douille à Juliet. "Voila. Tu te souviens de ce que je t'ai dit, et tu le fais bien. Je te le dirais pas deux fois." Il n'avait pas envie de le lui dire deux fois. Mais il sentait que les choses n'iraient pas comme il voulait de toutes façons. Après tout, il n'avait pas envie d'être là, en fait, mais il n'avait pas le choix. Il la regarda faire en réprimant l'envie de grommeler sa mauvaise humeur. Fichue journée. Gamine stupide. Ras-le-bol. Vivement qu'on en finisse.

Flavian sembla hésiter un bon moment, ne sachant pas trop s'il voulait qu'elle reste ou pas. Bon, elle avait du mal interpréter ses paroles alors. Il ne voulait plus d'elle ? Elle ne devait être qu'un boulet dans ses pattes après tout. C'est vrai qu'elle n'était pas très intelligente, ni très douée, mais elle avait vraiment envie d'apprendre. Et ça, ça comptait, non ? Mais peut-être pas pour Flavian. Elle avait fait une bêtise et n'avait pas respecté les règles, pourtant précises, qu'il lui avait imposées. Elle espérait quand même une seconde chance.

Et elle l'eut.

Elle n'en croyait pas ses oreilles, ou en fait si, elle y croyait carrément, Flavian était bien trop gentil pour la faire partir comme ça ! Avec de nouveau un sourire qui s'étendait d'une oreille à l'autre, elle écouta avec beaucoup d'attention les recommandations du grand Gryffondor. Alors. Ouverture assez grande de la porche à rouille. Appuyer moins fort. OK ! Elle avait tout compris. Enfin, elle croyait.

Elle admira encore une fois les gestes précis et assurés de son maître pâtissier, les jolies boules de pâte à choux qu'il faisait sur la plaque, une grande, une petite, comme une maman pâte à choux et son bébé. Ca pourrait presque être des créatures magiques, les Pâtachoux. Ce serait trop mignon même ! Mais après elle n'oserait plus les manger, ce serait dommage.

Flavian lui tendit l'ustensile en lui répétant encore qu'elle devait se tenir à carreau.

"Je ferai tout comme toi ! Promis !" Fit-elle, avec un grand sourire.

Et elle s'appliqua à joindre les gestes à la parole. Elle ouvrit soigneusement la porche à rouille bien en grand, ramassa dans le bol de la pâte, mais pas trop. Juste un tout petit peu en fait. Vraiment pas beaucoup. Tellement peu, en fait, qu'elle n'en mettait pas à côté mais qu'elle en mettait très peu dedans, alors ça lui prenait beaucoup de temps. Vraiment beaucoup. Mais ça l'amusait énormément, Juliet, et de temps en temps elle se prenait à émettre un petit éclat de rire, un petit gloussement jovial. Finalement, lorsque son ustensile fut suffisamment rempli à son goût (ça lui avait pris une bonne dizaine de minutes), elle commença à faire de petits tas de pâte sur la plaque. Un gros… Et un petit bébé. Un gros… Et un petit. Là aussi, elle prenait tout son temps, la petite sorcière, mais même comme ça c'était loin d'être aussi élégant que ce qu'avait fait Flavian. Ses religieuses bavaient un peu sur les côtés, et il y en avait une qui avait une drôle de forme un peu biscornue. Mais elle les aimait bien, Juliet. Elle trouvait qu'elles avaient du charme. Un certain caractère.

Une fois qu'elle eut utilisé toute la pâte dans sa proche à rouille pour faire deux misérables religieuses, elle leva le nez, toute contente, et regarda Flavian, tout sourire.

"Alors, je m'en suis bien sortie ?"

Flavian avait regardé Juliet travailler. Pendant vingt minutes. Elle avait pris son temps la petite. Elle avait été très, très lente. En même temps, elle débutait, et elle voulait bien faire, ça se voyait, et pour une fois le garçon ne pouvait pas trop lui en vouloir. Juliet faisait des efforts. Juliet s'appliquait. Juliet (miracle !) ne faisait pas de conneries, et travaillait sagement, en suivant les consignes et en se concentrant sur sa tâche. C'était bien. Beaucoup mieux qu'avant.

Elle avait fini par s'arrêter, ayant terminé deux religieuses qui avaient l'air à peu près correctes, et les présenta, toute fière, à Flavian, qui s'était résigné à son rôle de professeur. Juliet voulait savoir ce qu'il en pensait : s'en était-elle bien sortie ?

"Euh, ouais." Le ouais lui avait échappé, comme s'il était incapable de ne pas dire oui à l'une des questions de la petite. "Tu débutes, j'ai vu pire. C'est un peu maladroit mais ça s'rattrape, et puis on peut les utiliser comme ça, ça va. Ouais, ça ira."

Flavian regarda la plaque, et reprit les instruments de travail en main, avant de finir une rangée de religieuses, vite vite, hop hop, il n'avait pas que ça à faire non plus. Ca ne lui prit pas plus de cinq minutes. Il se tourna ensuite vers un elfe de maison et lui aboya ses ordres. "Tu m'envoies ça au four, et pronto, j'ai pas toute la nuit non plus."

Voila. Ca c'était fait. Il restait encore la crème à faire, et le fondant à préparer, et le montage et la garniture. Flavian soupira encore. Elle n'aurait pas pu aimer quelque chose de plus simple, sa copine, des financiers, un truc comme ça, où il n'y avait qu'à balancer tous les ingrédients dans un bol et mélanger ? Non, il fallait qu'elle aime les religieuses, et que Juliet se pointe et lui demande un truc compliqué. Pourquoi, Merlin, pourquoi.

Bon. C'était pas en se lamentant qu'il ferait avancer les choses, s'il continuait comme ça il y serait encore demain, allez, on se secoue. Flavian agrippa une bouteille de lait, une casserole, mit le tout sur le feu et se tourna vers son élève.

"On continue. Faut faire la crème pour les choux, j'vais t'encadrer pour ça, parce que sinon tu vas réussir à faire exploser quelque chose je le sens, donc tu peux pas t'foirer. Trouve-moi un bol et un fouet et des oeufs et du sucre. Et dépêche-toi."

Le plus dur c'était de trouver quelque chose à faire faire à la petite pour qu'elle se sente utile. Nulle comme elle était, elle servait pas à grand-chose, et elle ne faisait que gêner Flavian et ralentir le mouvement, mais il n'y pouvait rien. Il fallait juste qu'il lui trouve des tâches assez faciles pour l'occuper pendant qu'il veillait à ce que tout se passe bien, histoire d'en finir et de se barrer d'ici. Chercher des ustensiles et des ingrédients, ça allait, c'était simple, non ? Elle pouvait pas se rater.

Juliet attendait la réponse de Flavian en le regardant fixement. Elle, elle était très fière de ses deux religieuses, elle n'en avait jamais fait, des religieuses, la proche à rouille c'était tout nouveau pour elle et elle se sentait déjà comme une vraie pâtissière. Et en plus, Wendy allait être ravie ! C'était son dessert préféré ! Elle se voyait déjà arriver dans la salle commune avec ses deux religieuses cachées derrière son dos, voir son amie attablée quelque part à faire ses devoirs, et lui faire la surprise. Wendy aurait son sourire tout joli, le spécial des grandes occasions. Alors elle espérait ne pas s'être trompée.

Et Flavian lui dit que c'était bien ! Il lui faisait plein de compliments et tout, c'était trop chouette, elle le regardait avec un gigantesque sourire depuis ses premiers mots et, quand il eut fini de parler, elle eut un petit gloussement ravi. Elle avait réussi ! Elle avait fait des religieuses ! Et Flavian lui avait dit qu'elles étaient parfaites et qu'on pourrait les servir dans un restaurant et tout ! Enfin, il avait presque dit ça quoi, elle voyait bien qu'il s'était modéré pour ne pas qu'elle prenne la grosse tête. Bon, non, elle savait que c'était pas parfait, hein, il lui avait dit Flavian, mais quand même. Elle avait eu droit à un compliment (oui, "ça ira" c'était un compliment pour elle) alors elle était aux anges.

Au moins cette fois elle n'avait fait disparaître l'uniforme de personne.

Il passa vite à autre chose, à la prochaine étape dans la confection des religieuse. La crème ! Ca, ça devait être drôle à préparer, c'était le meilleur. Et puis Flavian, quand il parla, fit même une petite blague à Juliet, comme s'ils étaient déjà amis, sur sa capacité à faire exploser les choses. Bon en fait, il le savait pas Flavian, à moins qu'il écoute les ragots mais ça n'allait pas trop avec le personnage, mais ça lui était arrivé une ou deux fois de faire exploser son chaudron en cours de potion. Bon, là, il y avait beaucoup moins de risques quand même. Ils n'utilisaient aucun des ingrédients bizarres et dangereux du cours de potion, et elle n'avait même plus sa baguette.

Elle écouta les instructions du garçon, hocha la tête et fit avec un grand sourire :

"J'y vais tout d'suite !"

Et elle entreprit d'ouvrir tous les placards qui passaient à sa portée pour y dénicher les ingrédients demandés par son chef pâtissier.

"Alors, non, pas là, pas là non plus, oh ! des jolies petites décorations à gâteau ! Je vais les garder au cas où. Hm, non, ça c'est les légumes, ah, voilà les oeufs ! Casseroles, poêles, bol !" Elle sortit du placard un tout petit bol tout mignon avec des agneaux qui dansaient sur les bords. "Un fouet… Un fouet ? Tu veux fouetter les elfes Flavian ? C'est pas très gentil. Moi je suis pas d'accord, en tous cas, ils sont très gentils les elfes." Elle le regarda, les bras croisés, sans bouger avec un regard déterminé.

Hein, quoi ? Fouetter les elfes ? Flavian la regarda sans comprendre, un peu surpris. C'était une mauvaise blague, hein ? Elle avait fait de la pâtisserie déjà, hein ? Même si c'était juste un gâteau avec sa grand-mère, ça comptait, non ? Il en était de moins en moins sûr en fait. Parce que là … C'était juste pas possible d'être aussi bête. Elle battait des records, la petite.

Il allait lui dire non quand sa tête se mit à tourner de nouveau … et les mots de sortir tous seuls de sa bouche :

"Oui, je vais fouetter les elfes."

Heureusement qu'il pouvait encore la regarder comme il voulait. Il avait un regard blasé qui lui demandait si elle n'était pas simplement en train de se ficher de sa gueule. Sauf que, pour avoir été avec elle pendant une demi-heure déjà, il savait que non, elle était sérieuse, là, en fait. Elle y croyait, qu'il voulait fouetter les elfes. Il le voyait dans ses yeux.

"Un fouet, c'est un ustensile de cuisine, ça a un manche, et des tas de bouts de métal et puis zut, demande à un elfe, il t'en donnera un, tu verras bien ce que c'est. Ca sert pas à fouetter les elfes, juste les oeufs."

Il commençait à fatiguer, Flavian. Il se passa une main sur le visage. Mais qu'est-ce qu'il avait fait pour en arriver là, franchement, il se demandait.

"Et prends un bol plus grand, et, et zut, demande à un elfe, il t'en donnera un aussi." Ah, si elle pouvait être un elfe. C'aurait été tellement plus simple.

Il attrapa les derniers ingrédients et attendit qu'elle revienne avec la liste des choses qu'il lui avait demandées. Elle n'avait même pas cassé d'oeufs. Ca c'était bien. Il s'était un peu attendu à devoir faire des allers et retours pour ça, mais non, elle avait eu plus de dextérité que prévu. Ou alors il n'avait vraiment pas confiance en ses capacités. C'était possible aussi.

Bon, ils pouvaient continuer. Surveillant distraitement le lait sur le feu, Flavian posa le bol devant elle, lui mit le fouet dans la main, posa sans ménagement une boite de maïzena à côté d'elle, lui écrivit les mesures quelque part sur un bout de papier, et lui annonça la couleur :

"Voila, c'est simple, maintenant, tu mélanges tout. Tu pèses d'abord, hein, c'est une recette de pâtisserie, pas du ciment, ce que tu fais."

Voila. Ca devrait l'occuper, et ça lui laissait les mains libres. Il était tranquille pour un petit moment. Il avait juste à la surveiller du coin de l'oeil. C'était pas si terrible, d'être un professeur, au final.

Fouetter les elfes ? Il allait fouetter les elfes, vraiment, pour de vrai ? Mais… Mais… Juliet resta la bouche ouverte comme un poisson hors de l'eau. Il le disait d'une façon si calme en plus, elle n'y croyait pas ! En plus, il n'était même pas un vrai pâtissier, s'il laissait les elfes faire tout le boulot en les fouettant, et même qu'elle ne l'aimait plus du tout, il était méchant et… Mais pourquoi il la regardait comme ça ? Elle avait quelque chose sur le…

"Aaaaaaah !" Elle avait enfin compris. Il s'était moqué d'elle ! "Hahaha, t'es drôle !"

Et puis il essaya de lui expliquer ce que c'était qu'un fouet, mais c'était toujours un peu vague en fait. Elle avait une grande imagination Juliet, et des fois ça la faisait extrapoler un peu trop sur ce qu'on lui racontait. Alors elle préféra jouer la sécurité et demanda à un elfe de lui trouver un fouet. Avec un autre "aaaaaah", elle prit le fouet en main et l'apporta à Flavian.

"Ca s'appelle un fouet ce truc-là ? C'est marrant. On dirait que tu vas leur faire mal à tes oeufs. Mais quand on y pense, on dit bien "battre" les cartes aussi, et pourtant elles ont pas mal. Parce que c'est des cartes."

Son maître pâtissier la renvoya aussi chercher un bol plus grand, c'était dommage, il était mignon l'autre. Mais peut-être qu'il n'aimait pas les trucs mignons, Flavian. Il lui avait conseillé de demander carrément à un elfe mais ce n'était pas drôle ça, elle voulait faire les choses elle-même ! Alors elle revint trois ou quatre fois avec un bol un tout petit peu plus grand et se fit renvoyer par Flavian à chaque fois un peu plus sèchement, mais finalement elle réussi à en trouver un qui allait. En plus, il était rose. Avec des fleurs violettes. C'était vraiment charmant.

Il fallait ensuite se mettre à la confection de la fameuse crème, et Juliet se rendit compte que Flavian allait lui laisser tout faire. Il lui faisait confiance ! Il l'aimait bien, en fait ! Il trouvait qu'elle avait du potentiel comme apprentie pâtissière ! C'était vraiment très chouette. Alors avec un grand sourire, elle acquiesça, non non, elle ne ferait pas de ciment.

Elle lut les instructions et voulut les appliquer scrupuleusement. Elle fit bien attention à tout peser au gramme près, à tout mettre dans le bol sans rien renverser à côté, et à bien mélanger. Quand elle arriva à cette dernière étape, elle s'autorisa à se concentrer un peu moins pour parler avec Flavian. Elle voulait s'en faire un ami après tout, et il fallait bien connaître ses amis !

"Tu as beaucoup d'amis à Gryffondor ? Il paraît que les Gryffondors sont moins gentils que les Poufsouffles, mais j'y crois pas trop. Moi je suis sûre que tout le monde est gentil pareil. Et puis j'ai des amis à Gryffondor aussi. Tu connais Edgar ? Il est chouette, il m'a donné des bonbons une fois. Et Loka ? Elle est très gentille, elle, ensemble on a même sauvé un bébé a…. euh… Hihi… Un bébé euh, mulot, voilà. Il s'était cassé une patte." Soudain, une idée de génie traversa son esprit. "Dis," fit-elle du ton de celle qui change de sujet, "tu as une amoureuse ?"

Bon. Ca marchait bien, son plan. Flavian avait refilé une tâche facile à une petite fille toute contente de pouvoir l'aider, et elle avait passé un bon moment à se concentrer sur son travail. Sans faire de bêtises. Sans même parler. Il pouvait souffler un peu, du coup, il n'avait qu'à surveiller le lait qui chauffait dans la casserole.

Ce n'était pas si mal, d'être professeur. Juliet était insupportable, et bruyante, et collante, et un peu bête aussi, mais elle avait de bonnes intentions et faisait réellement de son mieux. Elle était toujours de bonne humeur aussi, et c'était dur d'être fâché longtemps quand elle était là. Enfin, surtout quand elle ne faisait pas de conneries. Comme maintenant, quoi. Y'avait pire comme élève, pensait-il.

Malheureusement, Juliet n'arriva pas à se tenir silencieuse bien longtemps. Il fallait qu'elle lui pose des questions, qu'elle essaye de le connaître alors que lui, il voulait surtout qu'elle lui foute la paix. Il avait la désagréable impression qu'elle voulait être amie avec lui … et qu'elle ne le lâcherait pas tant que ce ne serait pas le cas.

Bon, se dit-il avec un soupir, après tout pourquoi pas. Papotons.

"J'ai des amis, ouais. Hippolyte par exemple, je l'aime bien." Ouais voila. Flavian ne parlait pas beaucoup quand il n'avait pas envie de discuter. Surtout qu'il n'avait pas beaucoup d'amis à Gryffondor, en fait. Ou ailleurs. Il était un peu distant, et il aimait bien se battre, ça n'aidait pas. Et puis il ne recherchait pas vraiment à se faire des amis. Il était mieux, tout seul, se disait-il.

"Et j'ai pas d'amoureuse, non." Ca non plus, il n'avait pas envie d'en discuter. C'était vraiment trop bizarre, comme sujet, il ne se sentait pas prêt, et puis de toutes façons il avait d'autres chats à fouetter, et il n'était pas sûr que quelqu'un veuille être amoureux de lui de toutes façons. Elle avait de ces sujets, la petite. Il avait une tête à chercher le grand amour, lui ?

Flavian n'avait pas trop envie de parler de tout ça, mais il sentait que Juliet ne s'arrêterait pas en si bon chemin. La solution la plus sage, c'était de la faire parler elle. Il lui retourna ses questions.

"Et toi, tu as un amoureux ? T'as des amis, je vois ça, mais un amoureux ? Raconte."

Voila. Elle allait lui parler de sa vie et il hocherait la tête de temps en temps pour faire semblant de l'écouter. Le lait commençait à bouillir, alors il réduisit la température du feu et prit le bol qu'avait préparé Juliet. Il versa le tout dans le lait, et puis mélangea la préparation avec le fouet, en veillant à ce qu'elle regarde.

"Voila, on fait comme ça." Enfin, il l'avait un peu fait à l'arrache, mais c'était pas grave, c'est pas comme si elle allait s'en souvenir du premier coup de toutes façons. Flavian faisait de son mieux pour donner le change, là.

"On va tout verser dans un autre bol, et on va attendre que ça refroidisse, voila." Ils avançaient bien, se surprit-il à penser. C'était bizarre. Au début, Flavian avait surtout envie qu'elle dégage, mais maintenant qu'il était coincé dans son rôle de prof de cuisine, il se rendait compte que ce n'était pas si mal que ça. Et c'était chouette d'avoir quelqu'un qui l'admire. Ca lui plaisait, en fait. Ca allait. Il aurait préféré être tranquille aujourd'hui, il avait toujours un peu hâte d'en finir, mais ça allait.