Un sourire triste tordit les lèvres de Clarence, qu’il essaya d’effacer du mieux possible. Il avait bien compris que quelque chose n’allait pas – Nausicaa aurait difficilement pu le cacher moins bien. Et ça l’affectait terriblement, de savoir que ses sentiments n’étaient pas partagés. Quoi que. Hepburn parlait d’amour, et le Serdaigle ne l’avait jamais fait. Avait-il mal compris ? Avait-il entendu ce qu’il voulait entendre ? Avait-il cru que Clarence l’aimait. Les yeux de ce dernier s’écarquillèrent lorsqu’il comprit enfin. OH MON MERLIN, il avait mal compris, il le pensait amoureux, non non non c’était absolument pas ce qu’il avait dit.

Clarence était à deux doigts d’agiter ses mains et de partir en courant. De fuir tout ça. Mais voilà. Nausicaa courait probablement plus vite que lui. Et puis ses jambes tremblaient. Et puis ce serait trop bizarre. Non, décidément, il ne pouvait pas faire ça. Les joues écarlates – et pourtant, c’était pas faute d’être bronzé ! – le Serdaigle respira fortement. Il était à deux doigts de s’hyperventiler. Ça aurait été drôle, non, de faire sa première crise de nerfs maintenant. Ça aurait été sexy. Okay. Hightower ferma les yeux, soupira encore, ralentit sa respiration et revint enfin à un rythme normal. Le temps de cette petite panique lui avait paru éternel, mais au final, il avait à peine laissé la possibilité à Nausicaa de finir sa phrase. Il devait choisir un gage. Il gémit.

« Je suis nul pour ça. »

D’un coup d’un seul, il se laissa tomber en arrière, le dos dans l’herbe, et il ferma les yeux. Il devait choisir un gage. Mais avant, il devait mettre les choses au clair, sinon, ça risquait d’empirer. Tout doucement – assez fort, il espérait, pour que Nausicaa l’entende – il souffla :

« Je ne suis pas amoureux de toi. »

De nouveau, il exposa ses iris au Soleil, et un sourire rêveur apparut sur son visage. Il imaginait ce qui allait arriver, et c’était délicieux. Oui, il avait trouvé le gage parfait – celui qui ne l’engageait pas trop, justement, mais qui répondait quand même à ses attentes. Du moins, il l’espérait. Il se redressa légèrement, sur son coude. Lança une œillade limite langoureuse à Nausicaa. Et il déclara, ce sourire un peu moqueur qu’il arborait si souvent plaqué sur ses lèvres :

« Ton gage, ça va être de céder à ta pulsion du moment. Là. Je veux que tu fasses ce que tu as envie de faire, sans me le dire. »

Il espérait que le Serpent ne partirait pas en courant. Ç’aurait été con.

Nausicaa était parfait. Il faisait exactement ce que Clarence lui demandait, sans que ce dernier n’ait besoin de formuler cette demande. Et, mieux encore, il le faisait bien. Le Serdaigle se sentait électrique. C’était délicieux, et sa peau tremblait chaque fois que les lèvres du Serpent l’effleuraient. Impossible de résister : Hightower était totalement soumis. Torturé. Délicieusement torturé. Il avait chaud, et il ne pouvait retenir de petits gémissements, qu’il tentait de mettre en sourdine. Sans succès. Son souffle se faisait plus rapide. Il avait envie. Et pourtant, il n’avait pas le droit à grand chose. Tout ça était si chaste. Tant mieux, il aurait pris peur, plutôt que d’apprécier, sinon.

Leurs lèvres s’enflammèrent, et la langue de Clarence se prêta à la danse. C’était si facile, comme ça. Si instinctif. Il adorait sentir le poids de Nausicaa sur lui, il aimait même tout ça un peu trop. Ça devenait visible. Et dès que leurs lippes se séparèrent, il tenta de calmer tout ça, de cacher les indices, de nettoyer la scène de crime. Comme si rien ne s’était passé. Pourtant, les traces ne voulaient pas partir. Un soupir découragé s’échappa de ses lèvres. Il était obnubilé par ces grands yeux bleus, qui donnaient un visage à cette voix suave. Qui rajoutaient des sentiments à tout ça, la certitude qu’il ne faisait pas que jouer avec lui. Il avait les pupilles dilatées.

Heureusement pour Clarence, Hepburn avait une technique très fonctionnelle pour stopper toute trace d’excitation. Poser des questions gênantes, des questions qui ramènent de mauvais souvenirs à la surface. Tout à coup, cette position n’était plus du tout confortable : l’Aigle se sentait pris au piège. Il était devenu une proie. De nouveau, il rêvait de partir, et il se mordit discrètement la lèvre – même si, vu la proximité actuelle de leurs deux visages, c’était difficile de faire quoi que ce soit de discret. Ses yeux devenaient fuyants. Il regardait carrément le ciel quand il répondit, d’une voix immensément triste :

« Je préfère ne pas en parler… »

Non, il n’était plus du tout bien, et le poids de Nausicaa, d’agréable, était devenu étouffant. Il avait envie de le repousser. Il déglutit, difficilement, et revint poser ses yeux sur le visage qui lui faisait face. Non, il n’avait pas envie de le repousser. Il voulait revenir là où ils en étaient. Il voulait oublier la mort de sa mère. Il voulait oublier la pitié et l’attention de ceux qui l’avaient appris. Il voulait oublier ses souvenirs. Alors, il se força à sourire, et autorisa ses doigts à venir caresser la nuque du Serpent, tandis qu’il déclarait, plus calmement :

« Je suppose que c’est un gage, alors. »

Clarence. Ton sang se glace quand tu entends le défi de Nausicaa, et tu regrettes infiniment ton précédent gage. Est-ce qu’il aurait dit quelque chose du genre, si tu ne l’y avais pas envoyé avant ? Probablement que oui. Mais toi, tu n’as aucun moyen de le savoir. Tu ne peux qu’avaler ta salive difficilement et sourire – rictus peu convaincant. Il faut que tu dissimules tes véritables sentiments, que tu caches l’effroi qui monte de tes entrailles, et que tu as envie de vomir, pour t’en débarrasser. Tu n’es pas courageux, Clarence. Tu es un gros froussard. Et les hurlements qui s’échappent de la maison font déjà monter des frissons glacés le long de ta colonne… Tu aimerais tellement que le Serpent te prenne dans ses bras, pour te rassurer. Qu’il se colle contre toi et qu’il réchauffe ta peau, soudainement refroidie. Mais tu es un homme. Et les hommes n’ont pas le droit d’avoir peur.

« Ça ne me tente que moyennement mais bon. »

J’ai pas trop le choix. Voilà ce que tu penses, tu es obligé d’y aller parce que sinon, tu es certain que tout ce que tu vis se terminera. Tu es certain que, s’il découvre à quel point tu es faible, s’il découvre à quel point tu es peureux, il ne t’appréciera plus. Qui apprécierait une femmelette, un gros bébé ? Alors, tu te lèves et, d’un pas légèrement traînant, tu vas vers la cabane. Tu as pris Clémence avec toi : l’animal t’aidera à tenir, et sa présence chaude, dans le creux de tes mains, te rassure déjà. Nausicaa n’a même pas du voir que le furet est avec toi…

Tu rentres. La porte grince, le plancher est pourri, et les cris sont affreux. Ils sont tristes. Tu as l’impression d’entendre résonner tes propres hurlements, du jour où ta mère est morte. Tu entends les gens qui crient que c’est de ta faute. Ces gens sont dans ta tête, Clarence… Mais tu les crois. Parce que tu sais que c’est un peu de ta faute. Un pas, puis deux, cette fois, tu ne retiens plus tes larmes. Elles coulent sur tes joues dans un flot que tu ne contrôles pas. C’est trop douloureux. Tu t’arrêtes un peu, tu respires. Et tu te souviens. Tu ne dois pas penser à ta mère. Pense à Nausicaa. Imagine qu’il est là : bientôt, il va te rejoindre, alors ne t’inquiète pas. Tu pousses un soupir, il a dit la pièce principale.

Tu tournes un peu, tu flippes. A un moment, tu as tellement resserré ton étreinte autour de Clémence qu’elle a suffoqué. Elle t’a mordu, et elle s’est échappée, vexée. Tu sais qu’elle reviendra, et que tu pourras lui faire des excuses. Mais pour le moment, tu saignes allègrement – ça a de sacrées dents ces bestioles – et le sang rouge se mélange au jus salé de tes larmes, sur ta main. Tu es complètement perdu. Enfin, tu trouves la pièce principale et son canapé, et c’est là, c’est là que tu dois aller. Tu vas t’asseoir. Tu essuies tes larmes, étalant peut-être même un peu de sang sur tes joues – tu ne le réalises même pas. Et puis tu respires lentement. Oublier les cris. Oublier Maman. Nausicaa va bientôt revenir. Lâche tes genoux, et arrête de trembler. Il ne doit pas te voir comme ça.

Clarence n’avait plus aucune notion du temps. Il n’y avait plus que des hurlements, des cris et de la tristesse, de la douleur. Il retenait ses larmes, les yeux dans le vide. Il était trop grand pour pleurer. Et puis, ça ne servait à rien, il l’avait déjà vécu, et ce n’était qu’une vaste perte de temps. Sa mère était morte. Toute l’eau salée du monde ne parviendrait jamais à la ramener à la vie – et il savait également que la magie noire était bien trop nocive pour l’essayer, même si c’était parfois tentant. Il poussa un long soupir, et c’est le moment que choisit Nausicaa pour arriver.

D’abord, Hightower ne réagit pas. Il était seul, seul avec ses démons. Il frissonnait, et si les larmes ne coulaient plus, elles étaient toujours là, avec les fantômes du Serdaigle. Et puis, petit à petit, il sentit une chaleur sur ses épaules, et puis il se retrouva contre un torse. C’était chaud, c’était agréable, et cette odeur lui rappelait de bons souvenirs. Il se serra contre cette surface, attrapa sa chemise, fourra son nez dans son cou. Et puis, il prit le temps d’écouter, et ce qu’il entendit le fit sourire. Il se sentait mieux, là, plongé dans le parfum de son bonheur. Il n’y avait plus de bruits, presque. Il y avait sa bulle. Il y avait leur bulle. Il avait l’impression d’être un peu plus en sécurité.

« Clémence m’a mordu. »

Il tendit son doigt ensanglanté vers Nausicaa. Il avait tâché sa chemise, très probablement. Mais il était trop tard pour s’en soucier. Sa voix était triste et lointaine, et il lui avait fallu plusieurs minutes avant de dire ça. Comme s’il n’avait pas entendu ce que Hepburn lui avait dit. Comme s’il n’avait pas compris. Mais il avait compris. Il ne savait juste pas quoi y répondre. Alors, finalement, une autre longue minute passa, et il accepta de relâcher un peu la pression, de se reculer et de dire, une fois face au visage – si doux, si beau – du Serpent :

« Je suis un froussard. Je voulais pas que tu le saches, parce que j’ai pas envie que tu connaisses mes défauts, mais je suis un froussard. »

Et puis, il inspira longuement. Il sentait que c’était le moment d’en parler. Les lèvres un peu pâles, il rajouta :

« Dans cette cabane, j’entends les cris qui m’entouraient le jour où ma mère est morte. Tout ce bruit. »

Il tremblait maintenant un peu, et il finit enfin par dire, avant de retourner se réfugier dans le cou du brun.

« C’est pour ça que je peux voir les Sombrals. »

Clarence se sentait mieux, blotti contre Nausicaa. Il n’avait pas réalisé qu’il faisait une moue étrange, il n’avait pas réalisé qu’il l’avait mis mal à l’aise, il n’était pas capable de réaliser quoi que ce soit d’autre que le réconfort que lui procurait cette chaleur. Et une pensée lui vint : si jamais il finissait par tomber amoureux de quelqu’un, si jamais il finissait par trouver l’âme sœur, est-ce qu’il se sentirait toujours un peu mieux, comme ça ? Est-ce qu’il aurait la certitude de toujours trouver une peau, chaude, contre laquelle se réfugier, et des bras aimants ? Est-ce que l’Amour vous rendait plus fort, parce que vous étiez deux plutôt qu’un ? Hightower n’en pouvait plus : il avait hâte de pouvoir aimer, il avait hâte de trouver une relation simple, facile, sans aucune question. Pas comme celle là. Pas comme celle avec Arianna. Et pourtant, il croyait que Nausicaa pouvait l’aider. Il croyait que Nausicaa pouvait lui faire apprendre.

Alors, il le laissa faire. Il le laissa venir l’embrasser. Il l’écouta. Il le regarda, il se concentra sur sa voix, et les cris devenaient secondaires, plus lointain. Est-ce que quelques baisers suffisaient à lui faire oublier sa souffrance, sa mère ? Non, bien sûr que non. Mais ça faisait reculer tout ça un peu. Clarence avait presque l’impression d’être heureux. Il regardait Nausicaa bouger contre lui, il savourait la saveur de ses lèvres, il aimait tout ça. Mais soudainement, il n’avait plus peur des cris : il avait peur de cette relation. Il avait peur de ce plaisir. Il savait qu’il n’avait pas le droit d’oublier son histoire pour un petit flirt. Encore moins pour un serpent. Il fit une moue, qu’il effaça tant bien que mal, au moment où Hepburn revint, tout sourire, l’embrasser une fois de plus.

Clarence trouvait ça bon. Il céda une nouvelle fois, il se laissait aller. Mais quelque chose, au fond de lui, le poussait à être sûr qu’il ne devait pas se le permettre. Mais quelque chose lui soufflait qu’il risquait de souffrir encore, qu’il n’était pas prêt à accorder sa confiance, pas encore. Mais quelque chose lui soufflait qu’il en avait trop dit. Alors, il posa à son tour ses lèvres sur celles du Serpent, il y goûta avant de répondre, d’une voix un peu trop lointaine, un peu trop calme :

« Je dois retrouver Clémence. »

C’était une excuse stupide, il savait que Clémence reviendrait d’elle-même. L’animal était bien dressé. L’animal l’aimait bien. Et puis, il n’aurait jamais eu le courage de la chercher dans la cabane hurlante, il préférait prendre ses jambes à son cou et fuir. Fuir les cris. Fuir les sentiments. Fuir toutes ces choses qu’il ne contrôlait pas. Toutes ces choses qu’il ne contrôlait plus. Clarence avait toujours détesté perdre le contrôle. Il sourit, un sourire un peu triste, un peu las, et rajouta simplement :

« Je vais y aller moi… Libre à toi de sortir ou de rester. »

Et puis, il se leva, épousseta son pantalon, mis son pouce dans la bouche – c’était vraiment, vraiment un bébé avant de se mettre en marche. Précautionneusement, il ne faudrait pas que son plancher craque. Un pas. Deux pas. Trois pas. Il était dans l’entrebâillement de la porte. Il se retourna, regarda Nausicaa. Décidément, il était trop beau. Et il fallait qu’il le sache, même si ce serait le répéter, même si Hepburn l’avait sûrement entendu plusieurs fois :

« Tu es beau. »

Et puis il tourna ses talons pour de bon. Vers la porte. Il allait sortir, il allait respirer, il allait mettre ses idées en ordre et soigner son doigt. Il souffla longuement. Quelque part, quelque chose au fond de lui rêvait que le Serpent le rattrape, qu’on l’empêche de mettre de l’ordre dans ses pensées. Mais il n’y croyait que moyennement. Alors il marchait.

Nausicaa était revenu. Nausicaa l’avait rattrapé. Et lui, il avait blessé Nausicaa. Clarence s’arrêta de marcher, choqué, sonné. C’était mal. C’était certainement la dernière chose qu’il avait voulu. Oui, bien sûr, il avait peur. Oui, bien sûr, il savait que c’était mal… Mais il appréciait vraiment le vert. Et même s’il ne l’avait pas apprécié plus que ça, même s’il l’avait juste utilisé comme un jeu, comme ça, il n’aurait pas voulu le blesser. Il n’aurait pas voulu faire de lui un objet. Son cœur battait fort. Et il regrettait. Une larme coula sur sa joue, unique, seule. Cette larme, il l’essuya rageusement, au moment même où il décida qu’il ne pouvait pas laisser faire ça. Au moment même où il décida qu’il brûlerait ses ailes d’aigle, si ça voulait dire qu’il resterait pur. Clarence avait besoin de se respecter lui-même : et là, il se méprisait. Il devait agir.

Le temps avait semblé tourner au ralenti, et Nausicaa était déjà loin. Il marchait d’un pas rageur. Sans s’autoriser à réfléchir, il s’élança. Il courut, aussi vite qu’il pouvait, comme si sa vie en dépendait – et sa vie en dépendait. Il avait besoin de régler ça. Il ne pouvait pas tout gâcher en ayant peur. Pas encore. Alors il courut, aussi vite que ses jambes le lui permettaient – il n’était pas mauvais en sport, mais il n’était pas bon non plus. Il aurait échangé son royaume contre un balai. Et pourtant, il le rattrapa. Il choppa son bras, il le retourna vers lui, un peu brutalement.

« Nose. »

Il n’avait plus de souffle. Difficilement, il tenta de lui reprendre. Putain, il allait transpirer. Cette pensée, futile, le fit sourire bêtement, mais il n’avait même plus la force de rire. Ses mains posées sur ses cuisses, il se tenait face à Nausicaa. Et enfin, il trouva le courage de relever la tête, de fixer ses yeux verts dans ceux, bleus, profonds, du Serpent. Il ne devait pas s’y perdre. Pas cette fois. Il flamboyait. On l’aurait presque pris pour un héros. Mais ça, c’était avant qu’il dise :

« T’ES PAS BEAU ! »

Il l’avait crié. Et puis il réalisa ce qu’il avait dit. Il devint tout rouge, perdit sa belle assurance, balbutia des excuses comme quoi si, il était beau, et puis c’est pas ce qu’il avait voulu dire, et puis qu’il le trouvait magnifique et tout ça mais… Merde. Il disait vraiment que de la merde. Inspirer. Expirer. Se passer la main derrière la nuque parce que ça donne une contenance – geste qu’il utilisait tellement tout le temps pour se donner une contenance que ça en devenait une preuve de son stress. Et puis il reprit, plus calmement.

« Oublie ce que j’ai dit. T’es beau. Mais il y a autre chose. Il y en a plein des mecs beaux, je les embrasse pas pour autant, je les accepte pas pour autant, je ne leur dis pas des choses aussi intimes pour autant. Toi, Nose, tu es… Tu es spécial, voilà. Je peux pas te dire exactement le pourquoi du comment – j’adorerais faire un truc stylé et tout, avoir trop la classe, un bouquet de dix roses et tout ça, mais j’ai pas tout ça. Je suis un mec normal. Pire, je suis un mec un peu pathétique, un peu froussard, un peu perdu qui ressent des trucs bizarres qu’il n’a jamais ressenti. Et tout ça me fait clairement flipper, complètement flipper. Ouais, j’ai peur. Et ne m’interromps pas ! »

Il avait eu l’impression que Nausicaa voulait parler. Mais il voulait surtout reprendre son souffle. Il inspira de nouveau – putain, ses poumons le brûlaient à moitié, il n’avait vraiment aucune condition physique – et puis il avait une voix particulièrement aigue. Trop de sentiments. Il reprit :

« Voilà, j’ai flippé, je suis parti. Je sais que c’est stupide. Mais j’ai peur de m’attacher, j’le sens pas, ma vie c’est un vrai BORDEL en ce moment. Et puis. Merde, ça devrait pas te fâcher qu’on te dise que tu es beau, t’es con aussi ! »

Il le poussa. Il s’énervait tout seul. Il fronça ses sourcils – pourquoi il avait fait ça ? – lâcha un nouveau « MERDE » retentissant, l’attrapa par la chemise, l’attira vers lui et l’embrassa d’une manière pas franchement catholique, si vous voyez ce que je veux dire. Et puis il devint tout rouge – décidément, il n’était absolument pas doué pour prendre des initiatives – et il termina par un piteux :

« Enfin voilà quoi, j’suis désolé, j’voulais pas te vexer… Je t’aime bien. Voilà. »

Il était stupide. Mais quelque part, c’était plutôt mignon…

Clarence écoutait les mots de Nausicaa, sagement, laissant son souffle revenir. Il en avait oublié que le jeune homme était un Serpent. Il en avait oublié qu’il devait se méfier des verts, qu’ils étaient fourbes. Il en avait oublié toutes ces choses qui dictaient normalement sa vie, et il s’en rappellerait bientôt, de la manière la plus douloureuse qui soit. Il regardait le tatoué, et il aimait ce qu’il voyait. Il se sentait bien. Il se sentait mieux. Il était dans sa bulle de bonheur, le sourire aux lèvres. Il aimait voir l’autre nerveux, c’était mignon. Il aimait voir le rouge sur ses joues. Il aimait sentir ses lèvres, douces, soyeuses, contre les siennes. Oui, Clarence aimait vraiment être avec Nausicaa et, déjà, il réalisait qu’il ne supporterait pas de perdre ces instants. Et pourtant…

Il se laissa prendre dans les bras de Nausicaa. Il n’avait plus la force de répondre, il se contenta de fourrer son nez dans son cou, en silence, respirant son odeur. C’était tellement agréable, tellement bon, tellement chaud… Il soupira doucement, de bonheur, et ne put retenir un petit grognement quand l’autre le lâcha… Pour emmêler ses cheveux en plus ! Alors que les cheveux, c’est sacré. Clarence secoua sa tête et gémit, l’air profondément choqué – tant et si bien que ça en devenait risible :

« Naooon, pas les cheveux ! »

Moqueur, il leva sa main vivement et, à son tour, secoua la mèche de Nausicaa. Ah ah. Un petit rire lui échappa, tant le jeune homme était ridicule avec ses cheveux emmêlés. Il trouvait ça drôle, il se mordilla la lève et se mit en marche, pour rentrer… Il n’en avait pas vraiment envie. Mais l’heure du repas arrivait, et il craignait que son ventre ne finisse par exprimer bruyamment son mécontentement – et ce malgré les dizaines de gourmandises qu’il avait grignotées. Et puis, toutes les bonnes choses ont une fin, non ? Un peu timide, il glissa ses doigts entre ceux du Vert :

« On peut faire un peu de route comme ça ? »

Sa voix était toute mignonne, toute adorable. On ne pouvait probablement pas lui dire non. Sans attendre de réponse, il attira le jeune homme à sa suite : direction le château. Par Merlin, il n’avait vraiment pas hâte d’y être… La main de Nausicaa contre la sienne était tellement douce, tellement chaude. Il ne fallait pas le laisser la lâcher, c’était bien trop agréable.