L'animation était à la fête ce jour-là à l'auberge des Bulles baveuses. Dès le début de cette matinée d'août, les clients défilaient, s'emplissant la panse de boissons et mets variés avant d'aller s'aventurer sous la chaleur imposante de l'été. Eve, elle, se permettait de discuter avec quelques réguliers tout en regardant avec beinveillance les autres vivre leur vie. Contre toute attente elle ne les voyait pas seulement comme des portes-monnaie sur pattes, elle respectait chacun d'entre eux en tant qu'êtres -même si en effet un petit sac de pièces ça la ravissait toujours- : les voir vivre la rendait envieuse ; parce qu'ils semblaient si libres alors qu'elle se sentait enchaînée à son quotidien. Il y avait des jours comme ça où elle préférerait vagabonder dans les rues, mais elle revenait vite sur terre et se remémorait à quel point elle avait de la chance d'avoir une vie comme la sienne... ou même simplement d'être en vie. Chaque jour elle veillait sur ses clients comme sur ses propres enfants ; c'était pour ce sentiment de chaleur familiale que son commerce était réputé après tout.

La jeune femme s'adonnait à ses tâches quotidiennes, traversant l'auberge à vitesse grand V pour pouvoir finir son travail aussi vite que possible : ce n'était pas le moment de se laisser déborder, parce que si elle ne faisait pas ça maintenant elle savait qu'elle aurait certainement du mal à le faire après... vous savez, c'est cette fâcheuse tendance à tout remettre au lendemain ? C'est qu'elle avait l'air tout à fait sérieuse notre enfant, mais dans le fond elle aimait bien prendre son temps pour faire les choses sauf que forcément, ça lui retombait dessus parce qu'elle finissait par trop traîner. Du coup elle avait pris la résolution de ne plus procrastiner, au moins pour son travail à l'auberge. Elle se serait bien reposée un peu sur Selwyn pour un peu d'aide mais cette dernière n'étant pas là pour l'instant, c'était à la gérante d'assurer du mieux qu'elle le pouvait : de toute manière d'ici quelques heures ça allait finir par se calmer. Après l'heure du midi, elle pourrait très certainement se reposer un peu et revenir pleine d'énergie pour une soirée très certainement mouvementée avec les clients friands de la boisson.

Le temps passa plus vite qu'elle ne le crut, et elle finit même par ne plus avoir quoi que ce soit à faire. Dépassée par la tournure des événements, Eve s'avachit à moitié sur le comptoir : il n'y avait personne pour voir son manque de grâce à cet instant, enfin c'était ce qu'elle croyait. Occupée à rêvasser elle mit du temps à réaliser que le rez-de-chaussée s'était légèrement rempli ; probablement des gens refusant d'affronter le soleil qui régnait en maître dehors. Elle se redressa donc comme si de rien n'était, remettant en place ses longues nattes ébène. Parfois elle s'impressionnait : en un temps record elle s'était rendue présentable. Quel génie elle était ! Après s'être elle-même félicitée d'avoir couvert avec brio ses instants d'égarement, elle laissa son regard vagabonder dans la salle avant qu'il ne se pose sur une tête blonde. Tiens, elle n'avait pas l'habitude de le voir en bas lui... c'était même probablement la première fois ! D'accord, c'était pour lire, mais il y avait du progrès mine de rien. Pour quelqu'un qui était là depuis un mois et qui n'avait pas daigné pointer son nez au rez-de-chaussée une seule fois, c'était presque un exploit : même le chat du client était plus présent que lui, pour ainsi dire. La tentation d'aller l'embêter un peu prit vite le dessus et avant même que la jeune femme ne s'en rende compte elle était déjà penchée par-dessus l'épaule de son pauvre client, qui n'avait rien demandé si ce n'est que pouvoir lire en paix.

   ▬ Et bien, c'est rare de te voir hors de ta chambre ! Ça mérite un cookie tout ça.

De nulle part elle sortit un petit cookie qu'elle tendit à Viridus, concentrant par la suite toute son attention sur le livre qu'il avait dans les mains. Probablement que le concerné souhaiterait être tranquille, pourtant Eve n'avait en aucun cas l'intention de le laisser seul dans son coin : elle était bien trop curieuse. Des clients avec qui elle n'avait pas l'occasion de discuter c'était tellement rare que quand ça arrivait, elle sautait sur la moindre occasion. Un passe-temps ? Un moyen d'oublier ses propres soucis ? Elle-même n'en avait pas la moindre idée, et honnêtement y réfléchir ne lui traversait pas l'esprit. Elle tenta de lire entre les lignes du livre, le sourire aux lèvres.

   ▬ Qu'est-ce que tu lis de beau ?