C'était bien, le printemps. Il y avait du soleil au printemps, mais pas encore trop :; il ne se desséchait pas à vue d'oeil, mais n'avait pas non plus à enfiler ce que les sorciers appelaient un pull. C'était agaçant, les pulls. C'était irritant, serré, et ça prenait beaucoup trop l'humidité pour être qualifié de confortable.
C'était en se promenant dans les rues de son sublime quartier à lui, qui porte son nom rien qu'à lui, que le Prince Solus avait entendu quelques petits sorciers parler de piscine. Oui, la piscine, ce grand bassin avec de l'eau, un peu comme un lac, mais en plus artificiel, et avec des jeux dedans. Le Prince Solus avait eut envie d'y aller.
Et pas tout seul.
C'était nul tout seul. Non, il irait avec la femme du sujet Morgan. C'était bien pour qu'il qu'il était hors de question qu'elle se défile, maintenant qu'il avait fait l'effort de marcher jusqu'ici avec des tongs affreuses aux pieds ; des pieds tout aussi affreux.

- Non, vous ne rentrez pas, protesta le prince. Il plaça une main autoritaire sur l'épaule de la jeune fille. Vous êtes l'escorte du prince, une escorte n'abandonne pas son travail comme ça. Et puis vous devez expliquer à sa majesté ce que c'est, un maillot de bain.

Déjà, c’était quoi un bain ? avait-il envie de demander, mais ça aurait été gaspiller un petit peu trop de salive pour le même résultat. Le Prince Solus tapota le dos de la dame Morgan pour la faire avancer jusqu'au guichet, puis quémanda deux entrées ; qu'il paya des quelques galions que Jaromir lui avait appris à utiliser correctement. La monnaie, il n'était vraiment pas très à l'aise avec.

Ceci fait, ils se trouvaient à l'intérieur du complexe, et d'après ce qu'il avait compris du charabia de son escorte, il fallait trouver des maillots de bain. Il regarda la dame Morgan dont il tenait toujours l'épaule, comme par peur qu'elle s'enfuit.

- Vous savez où c'est, les maillots de bain ? Vous aussi il vous en faut un ?

Etant donné qu'il n'avait pas la moindre idée de ce à quoi ça ressemblait, et de ce à quoi ça servait, il était un peu perdu et ignorait si cette demoiselle aussi en avait une quelconque utilisé. Est-ce qu'ils ne pouvaient pas se passer de maillots de bain et aller nager directement ? C'était vraiment obligatoire ?

Des vêtements ? Pour aller sous l'eau ? Mais c'était quoi encore cette idée complètement loufoque et stupide des sorciers ? Les vêtements étaient déjà hautement pénible sur terre alors dans l'eau, s'il vous plaît, non merci. Et puis ça devait coller à la peau de façon très désagréable et tuer tout aérodynamisme. Hors de question qu'il enfile le moindre vêtement dans l'eau. Ses nageoires lui suffisaient amplement.
Et puis les lunettes, on en parlait des lunettes ? Les sorciers portaient des lunettes pour dormir aussi peut-être, temps qu'on y était ?

- L'eau ne pique pas les yeux enfin, vous racontez n'importe quoi, c'est la fatigue qui vous rend sotte ? Vos lunettes sont inutiles. Et votre maillot de bain aussi. Sa majesté compte nager sous sa véritable apparence, avec ses écailles et ses branchies pour seuls atours.

Et puisqu'elle non plus n'en avait pas besoin, tant mieux, parfait, ils grillaient une étape ! C'était autant de temps gagné à patauger dans l'eau. Ceci dit, il se questionnait. Elle n'avait pas d'écailles, elle, ni de nageoire, ça allait vraiment aller dans l'eau ?
... comment ça, elle n'allait pas dans l'eau ? Elle se moquait de lui ? Elle se rebellait ? Elle voulait l'abandonner ?

Le Prince Solus gonfla le torse, se dressa de toute sa hauteur et posa ses mains sur ses hanches dans une attitude réprobatrice.

- Alors sa majesté vous explique, sa potion de condition humaine ne va plus faire effet longtemps et elle veut être dans la piscine à ce moment-là, et certainement pas toute seule, alors cessez de vous comporter de façon aussi puérile que sa filleul et venez nager à ses côtés, c'est un immense honneur.

Non mais. Jaromir, lui, il l'aurait suivi sans faire de chichi, en se tordant les mains et en suant comme un thon au Sahara, mais il ne l'aurait pas abandonné. Jaromir était un brave. Pourquoi il n'avait pas invité Jaromir, déjà ? Ah oui. Parce que la dame Morgan était tendu en ce moment et qu'il fallait qu'elle s'amuse. Et quoi de plus amusant que de nager ?

Fier de son altruisme, le Prince Solus saisit la main de Carys dans la sienne et avança dans le complexe aquatique, déterminé à trouver la piscine.

Mais c'est qu'elle était récalcitrante la petite dame. Avec une vue un peu défaillante, on aurait facilement pu la confondre avec un pauvre appât de pêche qui refuse de plonger dans l'eau pour servir de repas aux poissons. Aucun destin aussi tragique ne l'attendait, pourtant. Oui, ils allaient plonger dans l'eau, non, ce n'était pas pour être mangés, et sainte poiscaille ce que l'on s'en fichait des histoires et de maillots de bain, ses nageoires le démangeaient !

Fatigué de traîner un tel poids mort derrière lui, le Prince Solus s'était arrêté et s'était dressé de toute sa royale stature. Sans lâcher la petite sorcière, ceci dit, parce qu'il était hors de question qu'elle s'enfuit. Il s'apprêtait à la sermonner et à lui intimer de cesser de se comporter comme un jeune têtard, lorsque avant même qu'il n'ouvre la bouche, la dame Morgan avoue enfin les causes d'une telle vive protestation.
Quelque peu boudeur d'avoir lutté si longtemps pour une raison si futile, il croisa les bras et tapota du pied sur le sol humide de la piscine ; ce qui n'était pas très intelligent, considérant que ce même sol était du coup glissant, et qu'il arrêta lorsqu'il se rendit compte qu'il n'était pas assez adroit sur des jambes humaines pour se permettre ce genre de fantaisies ; vivement qu'ils soient dans l'eau.

- C'est tout bonnement ridicule de geindre pour ça, déclara le Prince Solus en haussant les épaules. Vous n'avez qu'à apprendre. Sa majesté va vous apprendre, même. Elle est à peu près persuadé qu'il n'existe pas de meilleur mentor de nage au monde que le prince des êtres de l'eau.

Et puis avec cette solution là, tout le monde y gagnait. Lui, il pourrait barboter sans être seul, et elle, elle allait apprendre quelque chose d'enfin utile dans sa vie. Qu'elle accepte la proposition ou non ne l'intéressait pas du tout : pour lui, le choix était déjà fait. Il désigna alors le magasin de maillots de bain de la main.

- Prenez ce qu'il vous faut, changez-vous, et revenez. Sa majesté vous attend dans la piscine parce qu'elle va redevenir elle-même. Le Prince Solus fronça les sourcils. Et n'essayez pas de fuir sinon sa Majesté licencie le capitaine Morgan et ce serait très fâcheux pour tout le monde.

Sur cette tendre mise en garde, il agita les mains pour signifier à la petite sorcière d'avancer, alors que lui-même reculait pour se rapprocher du plus grand des bassins. Il avait hâte de faire trempette ; et hors de question de passer par un quelconque vestiaire, ou d'enfiler un quelconque maillot.

Un... un tyran ? Le Prince Solus porta ses deux mains à son corps, sa poitrine venant d'être traversée d'une flèche invisible qu'il n'avait su arrêter avant qu'elle ne le blesse. Cette flèche, c'était les mots de Carys ; le terme de "tyran". Il n'y avait probablement pas de pire insulte à entendre pour les oreilles du prince, et s'il n'avait pas été un adulte, s'il n'avait pas été si fier, il aurait pu se mettre à pleurer, là, devant le grand bassin où s'amusaient des enfants.
Il n'était pas un tyran. Il refusait cela. Oui, li donnait des ordres, mais tous les rois en donnaient, non ? On ne pouvait pas se faire obéir qu'avec de beaux sourires ; et de toute façon, son sourire n'était pas beau, il en effrayait plus d'un. Être un bon souverain, c'était être à la fois ferme et clément. Il était un bon souverain, pas un tyran. Les gens... les gens ne se rendaient simplement pas compte qu'il agissait pour leur bien. Il cherchait à les aider. A sa façon. A sa façon très particulière à lui.

Un tyran, ça n'offrait pas des bonbons, non ? Et ça ne rendait pas visite à ses sujets ? Un tyran, ça ne s'émerveillait pas devant un bébé humain et ça n'acceptait pas de devenir parrain, non ? Un tyran ne donnait pas ses écailles aux potionistes dans le besoin et mettait des gens à mort ; le Prince Solus n'avait jamais mis personne à mort, et il ne le ferait jamais.

Le prince ne savait guère quel sentiment prédominait, entre la souffrance et la colère, mais pour évacuer l'un comme l'autre, il s'assit sur le bord du bassin et y trempa ses jambes. Il ne tarderait pas à redevenir lui-même, et il n'avait pas envie de devoir ramper jusqu'au pinceau. Il balança ses jambes sous l'eau, et elles lui semblaient flotter, et ce contact, ce geste, l'apaisaient. Il n'était pas un tyran. Il voulait juste que la dame Morgan connaisse aussi les joies de l'eau.
Si elle ne savait pas nager, - parce que c'était ce qu'elle avait dit, non, qu'elle ne savait pas nager ? - alors elle ne savait pas du tout comme on se sentait léger, dans l'eau, comme tout était plus différent que d'être entouré d'air. Elle ne savait pas davantage ce que ça faisait de tout entendre différemment, de tout voir sous un autre angle. Il y avait des tas de choses à côté desquelles elle passait. Il avait juste voulu les lui montrer.

Mais maintenant elle était partie, et il ne savait pas si c'était pour lui obéir ou pour s'enfuir, et lui il voyait le mot "tyran" danser devant ses yeux et croisait les bras dans l'attitude boudeuse des petits enfants que l'on a vexé.