Lia exultait étrangement. Enfin... étrangement pour les gens autour. La jeune fille ne faisait effectivement que rarement preuve d'autant d'enthousiasme, et la croiser dans cet état-là signifiait généralement que, quelque part dans le château, quelqu'un était tombé dans l'un de ses petits traquenards vengeurs... ce qui justifiait les regards peu amènes et les sourcils froncés que son large sourire et ses yeux pétillants récoltaient.
On était pourtant bien loin de toutes les manigances habituelles, et il était fort dommage que presque personne ne soit en mesure de réellement apprécier sa jolie robe, sa coiffure spéciale et sa béatitude innocente. Comme toujours assez peu préoccupée dans l'instant par l'image qu'elle renvoyait, elle se mit à fredonner un air qui lui trottait dans la tête. Elle offrait ses sourires candides aux quelques personnes qui pénétraient son champ de vision interne, sans jamais s'émouvoir des retours négatifs, là et ailleurs tout à la fois. Lorsque son regard balayait la foule réunit dans la Grande Salle, elle décelait dans les robes diverses et autres étoffes chatoyantes comme une multitude de flacons colorées, de potions mouvantes, de contenus pailletés et de contenants aux formes multiples. Elle aimait les reflets sous les lumières, le sensation de l'événement qui approche, cette forme de tension, cette excitation euphorique qui baladait la foule, exhortait les amitiés.

Lorsque le Portoloin fût mis en service, elle était donc parmi les premiers à passer. En effet, l'annonce retentit parmi les couples occasionnels venus en avance, et, comme une enfant courant à perdre haleine droit vers l'entrée d'un parc d'attraction, Lia fouilla la salle du regard, extatique, bousculant en passant quelque personne et... enfin ! Elle le trouva. Sans même prendre le temps de lui adresser un mot ou même d'observer la tenue qu'il portait, elle fendit la foule et agrippa sans crier gare le bras de l'infortuné Marwin Hammerstein, qui eût le mérite, notons-le, d'arriver à suivre la demoiselle sans trébucher (gageons que l'enthousiaste jeune fille l'aurait alors traîné au sol, Lia ne craignant pas ce genre de défit).
S'il avait eût, de même, l'opportunité de contempler la tenue de sa cavalière, il aurait pu admirer une petite robe de bal courte, s'arrêtant un peu au dessus du genoux et mettant en valeur les jambes pales et minces de la jeune fille. Taillée dans une intense soie vert émeraude, elle possédait un bustier cœur en soie plissée, ainsi qu'une ceinture formée d'un entrelacs métallique représentant un motif feuillu et agrémentée de perles conséquentes. Néanmoins, la rapidité de la scène lui avait plus probablement permis de voir seulement une grosse tâche verte lui foncer droit dessus. Supposons qu'il saisira une autre occasion dans la soirée de vérifier au juste ce qui se tenait au bout de son bras... Mais les deux jeunes gens n'en étaient pas encore là.
Arrivée au Portoloin, Lia se redressa dignement, glissa avec assurance sa main dans celle de son partenaire d'un jour, et exécuta le dernier pas qui la séparait du moyen de locomotion avec autant de lenteur qu'elle avait pu afficher de précipitation la seconde précédente : elle savourait.

Lorsqu'ils arrivèrent finalement au lieu dit, atterrissant gracieusement, elle s'émerveilla de nouveau : ils étaient réellement dans l'eau ! Il y avait toujours une nette différence entre savoir et voir, et cette expérience lui semblait tout à fait édifiante. Et tout était si luxueux ! Tout à fait en adéquation avec la grandeur qu'elle s'attribuait. Plus que l'excitation de l'événement, elle se sentie alors, effectivement, comme un poisson dans l'eau. La seule chose qui pouvait encore l'exciter davantage était... oui, droit devant ! Alors même que son cavalier tentait d'entamer une conversation formelle -rappelons qu'ils ne s'étaient pas encore salués- elle l'avait de nouveau agrippé par le bras et le traînait avec entrain vers le buffet.

▬ Les plats sont tellement beaux, j'espère que c'est aussi agréable à manger qu'à regarder, en tout cas ça fait envie ! Bon, ils ont pas l'air de connaître la charcuterie mais tant pis pour ce soir, je voudrais pas avoir l'air difficile... Oh regarde ça là-bas ! Ce truc est énorme ! Tu crois qu'on peut s'en découper une part ? Ou alors c'est pour la déco ? Ca a quand même l'air super bon pour de la déco...

… Sans surprise, la jeune fille entama donc les festivités sans les politesses de rigueur. Mais à quoi bon parler quand on peut manger ? La soirée s'annonçait enchanteresse pour la jeune fille, restait à savoir si son partenaire y survivrait...

Ophelia se régalait comme jamais ! Elle évitait néanmoins tout ce qui avait l'air vivant ou provenant d'une coquille, mais tous les mets à base de poissons crus ou cuits la ravissaient. A tel point qu'elle consentie enfin à un échange non unilatéral.

- C'est....vivant ou cuit ? Vu qu'on est dans l'eau...

La jeune fille avala goulument un sashimi de saumon.

▬ Boah, je crois qu'il y a un peu de tout. Tu n'as qu'à prendre un pic et triturer le machin avec, si ça gigote c'est mauvais signe... Mais il y a aussi des trucs crus et morts, très bon d'ailleurs !

Sur ce, ignorant lestement le fait que « cru et mort » ait rarement eût la capacité de mettre qui que ce soit en appétit, elle récidiva en fendant l'air de son pic en bois à la façon d'une épée, ciblant trois fines tranches de sashimi qui fusionnèrent dans la chuintement saccadé de la mastication de sa petite mâchoire. Ce qui ne manqua pas d'interpeler son cavalier.

- Hey doucement tu vas t'étouffer ! Et laisse en un peu pour les autres !

A ces mots, la jeune fille s'étrangla réellement, avalant difficilement et se tapant frénétiquement dans le dos pour faire passer la crise. Une fois remise, elle se redressa et émit une petit toue précieuse en contraste totale avec son précédent comportement de bûcheron des steppes, rougissant légèrement, articulant dans un coassement rauque un bref mais vif « ne dis pas n'importe quoi ! ».

Elle se rinçait le gosier à l'aide de l'une des nombreuses coupes qui trainaient tandis qu'il parcourait la salle du regard.

- Tu sais qui est représenté en statue ? Apparement c'est un prince vu sa couronne.

Elle eut l'un de ses habituels sourires taquins.

▬ Et bien, je vois qu'on se concentre un peu trop sur les potions. Je sais comme le domaine est fascinant, mais ça ne devrait pas pouvoir t'empêcher de retenir qu'il s'agit là du Prince Solus. C'est notre hôte tu sais, s'il passait saluer les invités, j'espère que tu serais en mesure de reconnaître le type qui orne à peu près tout ici...

Toute à sa moquerie, elle ne vit pas arriver le compliment qui suivit.

- Très jolie ta robe au fait...

Elle manqua lâcher la coupe qui occupait toujours sa main droite et se réfugia dans une gorgée fictive -difficile de boire dans un verre vide- en marmonnant un vague « merci, tu es bien aussi ».
Se faisant, elle prit la peine de l'observer réellement et le trouva effectivement plutôt élégant, à un détail près.

▬ … enfin, presque.

Elle réajusta sa cravate comme une grande soeur l'aurait fait, machinalement, sans lui demander son avis. Elle avait rarement vu un noeud de cravate aussi mal fait, comme s'il ne se préoccupait qu'en partie de son image, « parce qu'il est jeune ou parce que c'est un garçon », pensa-t-elle innocemment. Sur ce, elle lui adressa un nouveau petit sourire pétillant avant de lui agripper le bras encore une fois.

▬ Promenons nous un peu, tu veux, il y a peut-être des choses amusantes à aller voir !

Tandis qu'ils se promenaient, Lia reprit :

▬ A propos du bal, c'était plutôt ça, à l'origine. Mais le Prince Solus a visiblement fait de cette occasion une... affaire personnelle, disons le clairement. D'où la déco. Mais je ne m'en plains pas, ce buffet n'est pas une plaisanterie !

Le regard du jeune homme se perdait dans la foule.

- Si tu veux...Peut-être qu'on croisera notre hôte en chemin. Y'a des gens qui viennent en couple que tu connais ou pas specialement ?

Elle fit une moue étrange et se tortilla nerveusement.

▬ Bof, je ne me suis pas trop intéressée à qui venait...

Buvant à son tour, il ne fit guère attention à son embarras passager.

- Je previens si a un moment ils mettent de la musique, je danserais pas...

Lia pouffa d'un rire discret qu'elle étouffa dans sa main libre.

▬ Ca tombe bien, moi non plus ! J'en ai peut-être le look ce soir, mais je ne suis pas du genre ballerine.

Réalisant la manière dont ces termes pouvaient être interprétés, elle se raidit et corrigea sur un ton on ne peut plus sérieux :

▬ Enfin, pas que je ne sache pas faire, on m'a apprit à valser très jeune, et j'étais loin d'être mauvaise, c'est juste que je n'aime pas beaucoup ça...

Elle fronçait les sourcils, comme s'étant mentalement écartée des frivolités festives, le regard vague, la prise desserrée sur le bras de son cavalier..