So let's get high here in the moonlight, even the stars go right over our head, I think I'm gonna shine in the afterlife, leaving the fight for peace of mind instead
Ses doigts restés libres s'étaient lentement repliés sur son torse, s'étaient agrippés fort, si fort qu'ils avaient crée des plis. Mais les phalanges frémissaient encore pourtant, emplis toujours de cette fragilité tendre. La gène, la peur surtout tenaient ses paupières solidement closes, depuis qu'elle avait senti son souffle se mêlait parfaitement au sien, depuis qu'elle se sentait comme au bord de l'éclatement. Peut-être exploseraient-ils ensemble, à l'unisson, peut-être que cela donnerait naissance à une nouvelle constellation, peut-être qu'on pointerait un jour un amas stellaire du doigt et on dirait, oui, c'était bien Thomas et Deborah à cette époque là, sous la lumière d'un baiser simplement avancé.
Elle avait eu une grande inspiration, comme de celles qu'on prend, à grande bouche, avant de se jeter à l'eau, dans une longue chute. Un son innocent qui s'était aussitôt transformé en un murmure étonné, un gémissement évanoui précipitamment dans l'immensité de l'espace, englouti tout entier d'une lèvre à une autre. Elle s'était abandonnée, s'était sentie fléchir, engourdie soudain, sans crainte tant elle semblait bien dans les bras de Thomas, devant son reflet dans le regard de Thomas, dans la bouche de Thomas. Alors ce nouveau parfum s'était sûrement insinué, comme un courant d'air sur son épiderme pour soulever des frissons. Naturellement, elle avait fini par s'égarer vaguement, dans ses songes, mais pas si loin, assez pour ressentir tous les effets d'une caresse sur sa bouche, une douceur qu'il lui avait déposé là, pour lui faire croire que c'était bien le jour le plus beau et le plus important de toute sa maigre vie. Dans le fond, c'était peut-être ça le Big Bang, qu'elle aurait dit Deborah, si on lui avait demandé une échelle microscopique. Ca devait bien avoir un soupçon de Thomas.
Le visage détourné, elle avait avancé une main pudique vers ses lèvres de nouveau nues, sans pourtant oser les toucher. Il lui semblait ne plus les reconnaître, ne plus les sentir. Après tout, ce n'était plus tout à fait les siennes, plus tout à fait les mêmes. Et c'était assez déroutant cette impression, qu'on vous embrasse encore. Mais Deborah avait un goût en tête, l’inconnu. Et à l'excuse maladroite qui n'en était pas vraiment une, sa main dans la sienne avait simplement répondu en pressant la sienne un peu plus. Et un bref instant, il lui parut que toutes ses émotions avaient choisi de s'y converger, peut-être dans l'espoir d'atteindre l'autre, de passer d’un corps à un autre.
Et là, retenus seulement l’un à l’autre du bout des doigts, alors qu’elle s’était écartée, à peine, recroquevillée, et sa tête complètement détournée pour dissimuler la nouvelle teinte de sa figure, elle avait laissé échapper une vague plainte d’une voix oscillante.
« Un souvenir, déjà ? Mais je sens encore, je sens encore la marque de tes lèvres… Les souvenirs sont vieux Thomas, ils vivent déjà dans un autre temps. Ils passent et ils ne reviennent pas. » Et elle n’imaginait pas, Deborah, que les choses puissent passer ainsi, s’archiver si vite dans la mémoire. Elle n’aurait pas tourné la page de l’album, non, dans sa tête, son doigt était encore sur le bouton de l’appareil photo. Elle aurait bien aimé, Deborah, prendre la pose encore un peu plus longtemps, rattraper l'instant jugé trop court. Et elle s'était retournée sur le sorcier avec une brusquerie qui ne lui ressemblait pas tant, sa main libre posée soudain sur la joue qui lui faisait face, avec une conviction forte.
« Si tu voulais, je pourrai te donner beaucoup d’autres souvenirs ! »Et elle avait eu un énième gémissement, de honte cette fois, étouffé cette fois complètement dans l'apesanteur, comme elle se rendait compte du sous-entendu qu'impliquaient ses paroles, comme elle se rendait compte que ce qu'elle venait de lui souffler avec une ardeur malhabile lui apparaissait surtout comme très embarrassant.
« Rouge. » Comme son visage à elle, comme sa figure à lui.
« Tu as du rouge sur la bouche. » Et Deborah savait bien d'où venait ce rouge. On devinait la forme de ses lèvres charnues sur les siennes. C'était comme une évidence, une preuve irréfutable, qu'il y avait un peu de Deborah imbibée là, dernière marque de tendresse.
Alors, elle en avait ri. Qui l'aurait cru ? Que Deborah Bolton se ferait embrasser dans l'espace, avec pour unique témoin une planète qui semblait endormie, bien loin de se douter que deux de ses rejetons étaient en train de devenir grands. Et un moment, la grande locomotive qui transportait chacune de ses fantaisies, de ses lubies insolites, l'avait perdue en chemin, la laissant là, dans un vide quelque part entre la réalité et l'imaginaire. Elle n'était plus capable de penser, à rien. Et après la honte passagère était enfin arrivée l'insouciance d'une merveilleuse euphorie. Et elle avait déjà tendu à nouveau ses lèvres, parce que, il lui semblait que la première fois s'était échappée trop vite, parce qu'elle était gourmande de Thomas, parce qu'elle se rendait compte que, et bien, ça n'avait pas été déplaisant. Bien au contraire.
« Encore ! » Voilà. Maintenant, ils pouvaient mourir en toute quiétude dans l'espace, la Terre en horizon couchant. Car Deborah ne pensait plus à rien d'autre.