Flavian dormait.

Flavian dormait un petit peu n'importe où et n'importe quand – puisqu'il n'avait pas de place dans les dortoirs, il fallait qu'il improvise tous les jours. Quand il le pouvait, il essayait de se faire une nuit normale sur l'un des canapés de la salle commune des Gryffondors, mais bien souvent, ce n'était pas possible, et il récupérait ce qu'il pouvait dans des coins tranquilles, comme la salle des trophées, ou la bibliothèque. Flavian manquait toujours un peu de sommeil, mais il était jeune, et il avait la chance d'être énergique, alors ça ne se voyait pas trop.

Flavian dormait, mais visiblement l'univers en avait décidé autrement. Il s'était installé sur cette table il y a quoi, une heure à peine ? Et il avait été réveillé brutalement par une avalanche de livres déversée sur sa tête. L'auteure de cette avalanche le dégagea rapidement, mais le mal était fait : Flavian était réveillé. Il avait l'air d'humeur maussade, il avait des cernes sous les yeux, il avait vaguement mal à la tête aussi, plus d'avoir été brutalement tiré de son sommeil que d'avoir été enfoui sous une montagne de bouquins.

C'était … la fille qui étudiait toute seule, là, il avait du mal à se souvenir de son nom, Sanaé ? Ca devait être ça, Sanaé. Ils ne se parlaient pas vraiment. Ils se connaissaient de loin. Flavian l'avait vue travailler toute seule dans son coin, sans faire un bruit – et elle y allait Sanaé, elle aurait pu demander une chaise à son nom vu le temps qu'elle passait à la bibliothèque. Et elle travaillait mais ne semblait pas bien s'en sortir. Elle n'avait pas les bons livres, elle n'arrivait pas aux bonnes conclusions, elle faisait des efforts mais ce n'était pas assez, il avait pu s'en rendre compte en la voyant peiner toutes ces journées. Flavian avait eu envie de l'aider, mais sans trop s'engager non plus – il ne voulait pas d'une conversation, et encore moins d'une amie. Alors il avait juste posé les livres qu'il lui fallait sur sa table. Il ne s'était pas rendu compte que c'était probablement la meilleure façon, et peut-être la seule, de l'aider. Sanaé l'avait aidé de la même manière de temps en temps, ils avaient fini par se dire bonjour et se connaître par leurs noms, ils avaient même vaguement tenté de discuter avant de se rendre compte que ça n'irait nulle part, et ils s'en étaient retournés travailler chacun dans leur coin, et c'était un peu tout. Flavian l'aimait bien, Sanaé. De loin. Il aimait bien la façon qu'elle avait de persévérer pour atteindre ses buts, même quand c'était manifestement difficile, et il était content de pouvoir l'aider un petit peu.

Et aujourd'hui c'était une Sanaé différente qui était venue lui parler. Une sœur jumelle cachée, un double, un imposteur, qui parlait à cent à l'heure avec autant d'idées en tête qui partaient dans tous les sens, et qui semblait énergique, enjouée, extravertie, chargée comme une pile électrique. Un peu plus et elle allait se mettre à rire nerveusement. Ou à chanter à tue-tête. Elle était épuisante, et Flavian n'était pas particulièrement reposé.

« Salut. » finit-il par marmonner, assommé par son discours, en la regardant fixement, les cernes sous les yeux, le regard épuisé, presque agacé, comme s'il avait l'air profondément embêté par sa présence et prêt à lui sauter à la gorge, alors qu'il était juste fatigué.

Flavian n'avait pas envie d'être méchant avec elle. Il l'aimait bien, cette fille, ils avaient une relation distante mais amicale, et il avait bien envie que les choses restent ainsi. C'était fatiguant de se battre avec l'école toute entière, parfois, et il était heureux d'avoir des petits moments silencieux comme ça, où il pouvait juste passer son temps à aider quelqu'un en cherchant des livres. Et puis, elle n'avait rien fait de mal, à part l'ensevelir sous ses livres et amplifier son mal de crâne avec sa logorhée sonore. Elle avait pas l'air dans son assiette.

« Tout va bien ? » demanda-t-il précautionneusement. « T'es pas malade ni rien ? T'as pas l'air tout à fait bien. »

Parce que là, elle semblait vouloir bosser, mais elle n'arriverait jamais à retenir quoi que ce soit vu la façon dont elle s'y prenait. Voire même à lire quelque chose. Elle allait trop vite. D'habitude elle prenait son temps et savait se concentrer, mais là c'était juste ridicule d'inefficacité. Elle avait l'air d'avoir la tête ailleurs, et son enthousiasme n'était pas très naturel. Est-ce qu'il lui était arrivé quelque chose et qu'elle essayait de pas y penser ? Flavian il avait tendance à taper dans les gens quand ça lui arrivait, elle, elle devait probablement se réfugier encore plus dans ses livres. Le gryffondor la regarda, toujours à moitié assommé. Si elle avait un problème et qu'il pouvait l'aider (en tapant quelqu'un par exemple) il était prêt à le faire.

Sanaé était déjà repartie dans ses bouquins quand Flavian répondit à son salut. Elle leva les yeux un instant, toujours souriante et répondit avec un petit rire : "Salut !" au quart de tour. Comme c'était drôle. Il était vraiment lent ce matin-là. Elle ne se souvenait pas de lui comme quelqu'un de lent, elle le trouvait plutôt énergique d'habitude, mais là, elle ne savait pas ce qui lui arrivait, à ce pauvre Flavian, il avait l'air complètement à côté de la plaque. Mais bon. Elle n'avait pas le temps pour de telles sottises : elle avait un devoir d'histoire de la magie à écrire. Elle commença par ouvrir un livre, le feuilleta deux minutes pour trouver la table des matières, qui lui parut d'un intérêt sans pareil et qu'elle se mit à recopier, en entier, sur son parchemin, d'une écriture rapide. Sa plume ne paraissait pas aller assez vite pour elle. Elle regrettait presque de ne pas avoir une plume à papote. Oui, ça y est, elle voulait une plume à papote. Elle nota dans un coin de sa page qu'il fallait qu'elle s'en achète une dès qu'elle irait à Pré-Au-Lard - ce qui ne lui arrivait jamais, elle n'avait pas le temps - mais là, elle se sentait capable de finir son devoir en une demi-heure à peine, d'aller à Pré-Au-Lard, de revenir et de faire ses devoirs de Métamorphose, d'Alchimie, et de réviser son examen de Sortilèges. Avant la pause de midi.

Après ce qui lui parut être une éternité - elle avait terminé de recopier la table des matières, et maintenant elle s'attaquait à la page 213 qui parlait de l'aérodynamique des tapis - Flavian parla de nouveau. Elle sursauta, surprise. Elle en avait presque oublié qu'il était là, tiens ! Et il lui demandait si tout allait bien ! Comme il était étrange ce matin. Bien sûr qu'elle allait bien !

"Bien sûr, tout va bien, ça roule, cinq sur cinq, ça ne pourrait aller mieux ! Pourquoi ? Je suis pâle ? C'est normal tu sais. Mes parents disent que je suis pâle, c'est un problème de vitamine, mais je prends une potion pour ça, t'en fais pas, tout va bien, ça roule, cinq sur cinq, ça ne pourrait aller mieux, je t'assure, pourquoi ? Toi tu vas bien ? T'as pas l'air très énergique aujourd'hui, t'as bien dormi ? Tu manges bien ? T'as pas maigri depuis la dernière fois ? C'était quand la dernière fois qu'on s'est vus ? Je travaillais sur mon devoir de Soins aux Créatures Magiques, donc… C'était cette semaine ! Merci pour le livre sur les lutins de Cornouailles d'ailleurs, il était très bien, même si j'ai eu seulement un A, bon, c'est pas grave hein, je veux dire, j'aurais aimé avoir plus bien sûr, mais bon, ça méritait pas plus comme devoir hein, soyons honnêtes, mais je ferai mieux la prochaine fois ! Haha, mais la prochaine fois c'est aujourd'hui en fait ! Regarde, je travaille sur un devoir, là maintenant ! C'est ironique, hein ? Non, pas ironique, c'est pas le mot, mais tu vois ce que je veux dire, hein. Je le sens bien aujourd'hui, ça va le faire, là, regarde !"

Et puis, un regard pour ses bouquins, et elle oublia de nouveau que Flavian était là, et elle se remit à travailler d'un air enjoué. Elle marmonnait même une petite chanson - une vieille chanson sorcière très démodée que ses parents écoutaient, elle n'avait pas le temps de s'intéresser à la musique. Elle parut au bout de quelques secondes se rappeler que Flavian était là, eut un petit rire gêné en relevant la tête.

"Haha, désolée ! C'est un devoir passionnant tu sais ! J'aurais jamais cru que le marché des tapis volants persans pouvaient être liés à la révolte des gobelins, mais en fait si ! Enfin, je crois. Je me souviens plus exactement quel est le lien, mais ça va me revenir, j'en suis sûre ! On disait quoi déjà ? Ah oui, tu avais des problèmes de nutrition je crois. Tu veux en parler à Mr Bridgestone ?"

Oh, elle avait réveillé Flavian ? Voilà qui était drôle. Quelle idée de dormir à la bibliothèque, et à cette heure surtout, il devait bien être midi - ah non, huit heures du matin. Mais quand même, huit heures du matin. Quelle idée de dormir encore alors que le soleil était levé, quelle belle journée c'était pour travailler ! Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, tout ça ! Quelle idée vraiment - et puis, dormir à la bibliothèque, comme c'était étrange ! Sanaé n'y arriverait jamais, c'était impossible, impensable, incongru, vraiment, avec tout l'appel du savoir et de la science qui l'entourait, comment se détendre assez pour dormir ? Il l'amusait beaucoup, Flavian, avec ses histoires étranges de sieste dans la bibliothèque à huit heures du matin. Le sourire plaqué sur les lèvres de Sanaé était tellement inhabituel qu'il lui faisait un peu mal à la mâchoire - mais comment ne pas sourire dans une si belle matinée ?

Flavian essaya de lui faire comprendre qu'elle n'allait pas bien. Qu'elle était trop en forme. Etait-ce possible d'être "trop" en forme ? Elle se sentait comme d'habitude. La même motivation à tout apprendre, la même curiosité, tout ça, et puis, si d'habitude elle était moins en forme, c'était ça qui n'était pas normal ! Peut-être que les vitamines que ses parents lui faisaient prendre tous les matins commençaient enfin à faire effet ! Et c'était assez agréable, en fait, elle avait l'impression de pouvoir guérir la dragoncelle avec des fleurs des champs ce matin. Rien ne lui résisterait. Pourquoi voulait-il qu'elle arrête de travailler alors qu'elle était plus productive qu'elle ne l'avait jamais été ?

"Tu ne comprends pas ! Si ce n'est pas comme ça que je suis d'habitude, il faut que j'en profite ! Tu te rends pas compte, tout ce que je peux faire aujourd'hui ! J'ai ce livre à lire -" elle montra un énorme volume poussiéreux, "puis celui-ci, et celui-là, et puis j'aurai sûrement de quoi faire mon devoir, et puis je pourrai en faire un autre et peut-être un troisième et tout ça je pense que ça me prendra une petite heure, et j'ai quelques idées pour améliorer la recette du polynectar, je vais faire des recherches là-dessus, tu te rends compte ? Je pourrais peut-être avoir un ordre de Merlin dans quelques années à ce rythme-là ! Mais je n'ai pas le temps d'aller dehors, dehors il n'y a pas de livres, on n'a pas le droit d'y emmener des livres, et c'est normal, il pleut et c'est sale dehors, on pourrait salir les livres, il ne faut pas faire ça, ce serait vraiment dommage, c'est la meilleure façon de transmettre le savoir aux générations futures tu sais, oh, je pourrais commencer à écrire un livre ! Tu crois que je devrais le faire sur quoi ? Il y a tellement de sujets intéressants ! Il faudra que je fasse des recherches pour ça aussi ! Tu vois, je n'ai pas le temps ! Pas le temps ! Pas le temps !"

Sanaé avait presque chantonné ces derniers mots. Elle se replongea bien vite dans le livre qu'elle lisait, sans se rendre compte que son attention ne suivait pas - elle sautait d'une phrase à l'autre sans en lire complètement aucune. Mais elle avait l'impression de sentir son cerveau absorber le savoir par simple contact visuel avec les pages du livre. Ce qu'elle lisait était fascinant - même si elle n'avait pas la moindre idée de quoi ça parlait.

Sanaé parlait à toute vitesse, sa pensée coulant comme un raz-de-marée. Elle allait tellement vite qu'elle avait du mal à prononcer toutes ses idées, et le résultat donnait un curieux mélange d'un peu tout et n'importe quoi, dans une cacophonie tour à tour stridente et chantante. Sanaé faisait encore sens, si on arrivait à suivre le débit de ses paroles. Mais Flavian ne l'écoutait même plus. Il était trop fatigué. C'était pas la bonne journée. Il avait enfoui son visage dans une de ses mains et faisait des moulinets avec l'autre, comme si ça pouvait aider son amie à parler plus vite pour qu'elle en arrive au bout et qu'elle se taise, enfin.

« Bla bla bla. » répondit-il. « T'arrives à suivre ce que tu lis, hein ? Ca parle de quoi ton livre ? » répondit-il, sournois. « Je parie que non, hein ? »

Et n'attendant même pas de réponse, il continua :

« On va sortir, miss. On va te faire … des exercices pratiques, ouais. On a des cours de vol, non ? Tu veux des O en cours de vol, non ? Si on allait faire un tour en balai ? » Non, à la réflexion, non, très mauvaise idée. Même si Sanaé acceptait, elle n'allait réussir qu'à s'écraser au sol, incapable de diriger son balai et tentant d'aller dans quatre directions à la fois. Bon, Flavian aurait le calme de nouveau, mais il n'avait pas envie d'envoyer son amie à l'infirmerie pour autant. « Ou au moins un tour du stade de Quidditch ? C'est bien, ça, non ? Et puis ça te fait de la culture générale. C'est bien la culture générale, non ? Ca peut être utilisé partout, dans tous les devoirs, et ça te donne un air intelligent dans tes copies, les profs ils aiment bien. »

Et le jeune homme restait là, épuisé, à négocier tant bien que mal avec une Sanaé récalcitrante qui semblait ne vouloir en faire qu'à sa tête, et qui surtout n'avait aucune envie de dépenser ce surplus d'énergie et qui préférait bouillonner devant ses livres. Il n'avait pas envie de la forcer à le suivre. Il n'avait pas envie de agripper et de la traîner dehors – surtout que vu comment elle pétait la forme, elle allait se mettre à crier et à se débattre, et elle allait se montrer encore plus fatigante que maintenant. Flavian le ferait s'il n'avait pas le choix. Mais il préférait que son amie le suive de bonne grâce, alors il négociait, malgré la migraine.

Et Flavian ne manquait pas d'arguments.

« On pourrait voir les serres de botanique. C'est bien la botanique aussi non ? C'est une matière très importante. Et là aussi, on ne peut pas tout apprendre dans les livres, on pourrait rempoter des plantes, ou les observer, ou les tailler, ou les découper en petit morceaux pour faire des ingrédients pour des potions, non ? » Il ne lui proposait pas de faire des potions. Trop de potentiel d'explosions. En temps normal, ça aurait été plutôt drôle, mais là, il était fatigué.

« On pourrait aller regarder des animaux, non ? Pour le cours de soins aux créatures magiques. Ca aussi c'est important comme cours. Je suis sûr qu'on peut trouver des trucs dehors. Tu pourrais tenter de les attraper et on pourrait les étudier. Je sens que tu as l'énergie pour ce genre d'exercices aujourd'hui. » Ca, ça lui semblait la meilleure idée de toutes. Sanaé était probablement incapable d'attraper quoi que ce soit. Elle allait s'épuiser à courir après des lapins et des oiseaux, et elle allait se fatiguer, et se calmer. Et Flavian n'aurait rien d'autre à faire que de rester dans l'herbe à lui crier des encouragements de temps en temps. Et si jamais elle attrapait un lapin … bah, tant pis pour le lapin. C'était idéal comme plan.

« Alors, t'en dis quoi ? » fit-il, grand sourire fatigué. « C'est bien aussi non ? Et tu es énergique, faut utiliser ça tant que tu l'as. Tu pourras t'occuper des bouquins après. Je suis sûr que tu auras le temps pour les bouquins aussi, même aujourd'hui. »

Il espérait vraiment que son amie morde au hameçon. Sinon, il allait devoir prendre les choses en main, et la tirer hors de la bibliothèque. C'était ça ou la voir chanter à tue-tête en déchirant des pages de livres par surplus d'excitation, il le sentait venir.

Bon, bin ça avait a peu près marché. Sanaé avait envie d'aller voler, ce qui au moins allait la faire sortir dehors prendre l'air un bon coup, et puis se prendre un arbre peut-être aussi, en tout cas elle allait se calmer après, enfin, Flavian l'espérait, parce que c'était un peu son but.

Elle avait dévalé les escaliers quatre à quatre, regrettant probablement de ne pas encore avoir l'âge de transplaner, ou alors s'exerçant à le faire, c'était Sanaé après tout, et traînant derrière elle un Flavian qui lui, aurait aimé se prendre un bon coup d'aspirine.

Et puis, une fois arrivé sur le terrain, la jeune Serdaigle recommença son speech. Flavian se rendait vaguement compte qu'elle était en train de lui confier des choses qu'elle n'avait jamais dit à personne avant – des envies enfouis, des interdits qu'elle s'imposait, des désirs frustrés, et qu'il avait du réveiller quelque chose en elle pour qu'elle se mette à agir ainsi. Mais ce n'était pas à lui qu'il fallait dire tout ça. Flavian, il était pas psy, il était plus le genre de personne qu'on appelait quand on avait un problème avec quelqu'un, pas un problème avec la vie.

Et puis tout ça c'était louche. Sanaé, elle parlait jamais. Franchement, il s'inquiétait, le mec, mais là, il pouvait pas faire plus que limiter la casse.

Dans son attitude habituelle de petite tornade, Sanaé avait déjà sorti les balais, avant de se mettre à en enfourcher un, celui de son enfance, et s'étonnait un peu que Flavian – Flavian, qui n'était pas en mode fast-forward du cerveau, Flavian qui collectionnait les cernes sous les yeux – ne soit pas prêt en même temps qu'elle.

« Ouais attends, j'arrive. »

Il agrippa un balai et le monta à sa suite.

« Tu sais, les Brossdur, c'est pas mal. Le balai aide, mais c'est surtout le sorcier qui le conduit qui fait la différence. Et t'es une bonne sorcière. »

Bon, bin, quand faut y aller, faut y aller.

« Ouais, alors, on décolle. On révise, hein. Les bases. Pas le triple looping. »

Sanaé avait son balais, elle l’avait enfourché, elle n’attendait plus que Flavian pour donner un coup de pied à terre et s’envoler. Rien que ça, juste être au sol avec son balais, elle se sentait déjà toute excitée. Enfin, encore plus qu’avant. Elle savait voler, Sanaé, et même si elle aurait très facilement échangé tout son talent pour le vol contre quelques O de plus, c’était quelque chose qui lui tenait à coeur. C’était le souvenir d’une enfance plus insouciante. Ca faisait longtemps - trop longtemps - qu’elle n’avait pas volé juste pour voler.

« Ah oui, ça, c’est sûr ! Moi je gère sur un balais, tu vas voir, mais je sais pas si ça fait de moi une bonne sorcière, ça requiert pas de baguette magique. Mais t’es gentil. On te le dit souvent que t’es gentil ? T’as pas l’air de quelqu’un à qui on dit souvent qu’il est gentil. C’est dommage, faut les dire ces choses-là, sinon les gens ne savent pas tout le bien qu’ils font autour d’eux. Enfin bref ! On vole ? »

Sanaé se rendit compte que Flavian s’était trouvé un balais lui aussi, alors elle ne se fit pas prier, ni une ni deux, elle était dans les airs, le vent sifflant à ses oreilles, les gradins en-dessous. Elle avait à peine entendu la dernière phrase de Flavian qui l’intimait à la prudence. Elle se sentait si pleine d’énergie, comme si elle était sur le point d’exploser, elle voulait plus de vitesse, plus d’action, ça la démangeait. Alors, après avoir attendu impatiemment que Flavian la rejoigne dans les airs, une fois qu’il fut à sa hauteur, elle fonça sur lui avec son balais, s’arrêtant à une cinquantaine de centimètres.

« C’est toi le chat ! » Dit-elle en lui touchant le bras, avant de ‘éloigner vite en rigolant. Une fois arrivée à l’autre bout du terrain, elle cria : « Bah alors t’attends quoi ? Vient m’attraper ! » Et elle commença à faire des tours du terrain en accélérant de plus en plus.

Flavian soupira. Les bases, pas le triple looping, on avait dit. Sanaé n'y était pas encore, au triple looping, mais ça ne saurait tarder, il le sentait.

Lui, il aimait bien voler, d'habitude. C'était le genre d'activité qui lui plaisait – beaucoup de vitesse, beaucoup d'action, beaucoup de brutalité, aussi, avec les changements d'angle soudains et la force qu'il fallait avoir dans les bras pour remonter ou descendre ou tenir bon face au vent. Mais là, il avait l'impression de s'être fait enrôler dans un rôle d'attrapeur pendant que Sanaé jouait à être le vif d'or. Et il n'avait pas particulièrement envie de jouer. Au moins pouvait-on dire que le vent et l'air frais calmaient, un peu, son mal de crâne et l'aidaient, un peu, à se réveiller.

C'était déjà ça.

Il n'avait rien répondu au discours de la Serdaigle – elle parlait trop vite et elle ne prenait pas le temps d'écouter, ça ne servait à rien de toutes façons – et puis il était toujours un peu confus devant ce qu'elle lui racontait. Elle le trouvait gentil, et ça c'était la nouvelle du siècle. Personne ne trouvait Flavian gentil parce qu'il n'était pas gentil. Elle se trouvait nulle comme sorcière parce que pour elle la magie se résumait aux prouesses en baguette, ce qui était un peu bête aussi. Son univers devait vraiment se limiter aux livres. Et ils n'avaient jamais autant parlé que ça, avant. Flavian se rendait peu à peu compte qu'il ne connaissait pas du tout Sanaé. Flavian se rendait compte aussi qu'il n'en avait pas rien à faire, au contraire du reste de l'école, qui pouvait bien tomber du haut des escaliers sans que ça ne le dérange plus que ça. Si on ne disait pas souvent à Flavian qu'il était gentil (et à raison) on ne devait pas souvent dire à Sanaé qu'elle était une bonne sorcière non plus. Et puis bon, c'était pas la grimace sur le visage du Gryffondor qui allait le lui faire comprendre.

Flavian était péniblement arrivé jusqu'à sa hauteur, pour voir Sanaé l'attraper par le bras avant de s'envoler en gloussant jusqu'à l'autre bout du stade de Quidditch désert.

Bon bin. Puisqu'on allait jouer à ça. Pas réveillé, le lionceau décolla avec un certain retard, avant de foncer vers la Serdaigle qui commençait à faire des tours de terrain, en gagnant de la vitesse. Bientôt, ils étaient tous deux en train de tourner le long du stade, sans arriver à réduire ou à faire grandir l'écart qu'il y avait entre eux deux. Flavian s'en fichait un peu de la rattraper, en fait. Il était là pour l'épuiser, pour qu'elle se calme un peu, et qu'elle redevienne normale. Mais l'exercice était épuisant pour lui aussi. Ca ne pouvait pas continuer comme ça.

Son cerveau empâté finit par trouver une solution. Ralentissant, il se mit à frôler le sol, avant de ramasser une sorte de caillou arrondi, qui tenait bien dans sa main, et puis il se tourna vers la Serdaigle, qui avait fait presque tout un tour du stade :

« Hé, Sanaé, attrape ! » beugla-t-il.

Et il balança le caillou le plus loin possible, à l'opposé de la jeune fille, en y mettant toute sa force. Si ça marchait avec les chiens, ça marcherait sûrement avec Sanaé.

En retrouvant la vitesse du vol, Sanaé retrouvait aussi tous les bons souvenirs que ça lui rappelait. Les découvertes de toutes ces sensations en solitaire, quand son père était au travail et qu’elle voulait le rendre fier, la fois où elle avait essayé de voler le plus haut possible et qu’elle était redescendue, les oreilles sifflantes et les joues rouges, à avoir vu toute la campagne qui s’étendait sous elle, l’immensité d’une terre comme inconnue, que dans son insouciance elle avait appelée d’un nom exotique, terre mystérieuse et idyllique… Comment déjà ? La Russie. Tout ça lui tournait dans la tête à toute vitesse, mais elle n’y pensait pas vraiment. Elle ressentait la vitesse de son balais, préparait les tournants comme elle savait le faire, descendait puis remontait, testant ses propres réflexes et ses vieilles habitudes.

Flavian se rappela à elle, elle s’aperçut qu’elle l’avait presque oublié. Elle freina un peu, ralentissant assez pour se concentrer - vaguement - sur ses paroles, un sourire béât collé sur le visage, et ne se le fit pas dire deux fois : voilà un jeu qu’elle aimait. Elle démarra à toute blinde, sans quitter le galet des yeux, il était lourd, il tombait vite, plus vite que les pommes de pin que Sanaé avait eu l’habitude d’utiliser. Mais elle l’aurait quand même. Suffisait pour cela qu’elle plonge plus, plus vite. Son balais presque à la verticale, elle aidait la gravité de toute la puissance de son balais. Elle était à cinq mètres du sol lorsqu’elle rattrapa enfin le galet, à quatre lorsqu’elle referma sa main dessus, à trois lorsqu’elle se saisit du manche de son balais pour le redresser. La remontée, voilà ce qui était difficile. Luttant contre la gravité, avec toute la force de ses bras, peu sollicités par ses années à rester enfermée dans la bibliothèque, elle s’efforça d’arrêter de descendre, grinçant des dents sous l’effort, puis, enfin, de remonter. Elle finit par y parvenir. Essoufflée, elle revint se poster à côté de Flavian, les joues rouges. Elle lui lança le galet. Elle commençait à fatiguer. La décharge d’énergie qu’elle avait ressentie depuis le matin allait en s’estompant, elle se sentait moins vive, moins sûre d’elle aussi.

« Dis-moi, tu en penses quoi ? J’aurais pu être plus rapide, c’était un peu bâclé comme récupération. Surtout, je me déplaçais comme une bleue à la remontée. Ca demande du travail tout ça. Et c’est pas essentiel. » Mais la vérité, c’était que Sanaé était piquée. Elle voulait s’améliorer. Elle ne supportait pas de se savoir en-dessous de parfaite à quelque chose, fut-ce un quelque chose complètement futile, comme le Quidditch. Avec du travail, elle savait qu’elle pouvait faire mieux. Il suffisait de trouver les bons efforts. Le regard fuyant, les sourcils froncés, Sanaé réfléchissait déjà à un planning d’entraînement. Peut-être… Elle s’en voulait même de formuler la pensée. Mais elle y pensait pourtant. Peut-être pourrait-elle, avec beaucoup de pratique, rentrer dans l’équipe de Quidditch ? Elle se mit à rougir. Elle, dans l’équipe de Serdaigle ? C’était risible. Les spectateurs arrivaient toujours par légions dans les matchs de Quidditch. Et Sanaé n’était pas du tout une adepte de la foule.

Satisfait de lui-même, Flavian regarda Sanaé s'élancer à la poursuite du galet volant. Il était plutôt fier de lui. Il avait trouvé une méthode permettant d'épuiser le trop-plein d'énergie de la Serdaigle sans le moindre effort de sa part. Et en plus elle n'y voyait que du feu : elle s'imaginait vraiment qu'il ne jouait avec elle que par bonté d'âme. Ce n'est pas qu'elle l'embêtait la plupart du temps, non – mais là, maintenant, tout de suite, il était trop crevé pour ce genre de bêtises. Flavian était bien content de pouvoir rester affalé sur son balai sans bouger, présent pour la forme. Après tout, l'important, c'était de participer !

Sanaé réussit à récupérer le galet – joli ! surtout vu à quel point elle était droguée – et revint vers le Gryffondor, en étant plus calme, plus indécise, plus elle-même qu'avant. Elle lui rendit le galet, qu'il attrapa sans trop de peine, avant de le balancer par-dessus son épaule et de l'écouter raconter tout ce qu'elle avait en-tête.

« Tu t'en sors bien, pour une bleue – mais tu sais, on n'en demande jamais trop aux Serdaigles quand il s'agit de Quidditch, hein. Tout le monde sait bien que les intellos et le sport ça va pas ensemble. » répondit-il, taquin.

Elle était drôle, Sanaé. Flavian la regardait avec un grand sourire.

« T'as envie de faire du Quidditch, hein ? »

C'était facile de deviner à quoi elle pensait – Sanaé cachait bien mal ses hésitations. C'était écrit en gros sur son visage. Elle avait envie de quelque chose, mais elle n'osait pas se lancer. Flavian allait l'encourager un petit peu. Elle en avait bien besoin.

« Tu devrais le faire. Ca va t'aérer l'esprit, te sortir de la bibliothèque, ça permettra de te concentrer plus facilement sur le travail, parce que quand on fait tout le temps la même chose on finit par tourner en rond, et puis voilà, un esprit sain dans un corps sain, et puis c'est toujours des notes en plus, les cours de vol. Faut y réfléchir. Y'a plein de bonnes raisons pour lesquelles tu devrais te lancer là-dedans. »

Et la meilleure de toutes – mais qu'il n'allait pas mentionner, loin de là – c'était que si Sanaé rejoignait l'équipe de Quidditch, elle allait patauger dans la boue et la pluie, à se manger des cognards en s'acharnant après les balles, et ça, ça allait être très drôle à voir. En plus c'était lui qui commentait les matchs. Sanaé dans l'équipe de Serdaigle, c'était tout bénef' pour tout le monde, pour elle, pour lui, et pour la beauté du spectacle.

Ouais. C'était cool comme idée. Flavian attendait une réponse, affalé sur son balai, avec un sourire plein de fatigue et d'amusement.

Faire du Quidditch. Rentrer dans l'équipe. C'était tellement risible, comme idée, elle n'était pas une athlète, elle son domaine c'était les livres - et encore. Et puis, ce n'était pas très féminin... Cette pensée, venue tout droit de son éducation, lui fit froncer les sourcils. Elle n'en avait rien à faire, de ne pas être féminine. Elle s'en voulait d'y avoir même pensé. Peut-être par esprit de rébellion, juste comme ça, son choix était fait, avant même que Flavian ait parlé. Elle s'inscrirait aux essais de l'équipe de Quidditch de Serdaigle.

Elle ne voulait pas être sa mère, qui passait son temps à raconter des ragots aux femmes des officiels du Ministère de la Magie.

Elle voulait accomplir des choses. Elle voulait tout faire. Elle voulait être la meilleure, et elle se donnerait les moyens d'y arriver.

Ce serait un peu de temps en moins pour travailler ses cours, certes, c'était dommageable, mais Flavian, qu'elle écoutait d'une oreille, avait raison : ça lui permettrait de s'aérer la tête et d'être plus efficace. De toutes façons elle ne cherchait plus que de bonnes raisons de le faire maintenant. Son choix était fait. Peut-être juste parce qu'elle était en pleine rébellion adolescente, mais c'était décidé.

Les sourcils froncés, la voix ferme et décidée, Sanaé dit à Flavian :

"Je ferai de mon mieux pour intégrer l'équipe. Je vais continuer à m'entraîner, tu n'es pas obligé de rester." Elle ferait très bien ça toute seule. Elle faisait toujours tout toute seule. "Je te rejoins à la bibliothèque dans une heure ou deux, j'ai toujours du travail."

Flavian se mit à sourire sur son balai. Content. Fatigué mais content. Sanaé avait l'air de s'être calmée, elle n'agissait plus comme un petit chien fou, elle était redevenue l'élève sérieuse qui ne faisait rien au hasard. En un sens c'était un peu dommage, parce que c'était plutôt drôle de traiter Sanaé comme un petit chien. Et en même temps, bah il était content que son amie se sente mieux, Flavian.

Et puis elle avait décidé de faire du Quidditch. Ca aussi c'était bien, et c'était même un peu surprenant.

"Bah c'est cool." fit-il, toujours aussi doué avec les mots. "C'est bien le quidditch, tu vas voir. Et puis je fais les commentaires des matchs, alors je connais un peu comment ça marche, je pourrais t'aider si tu veux, te donner des infos, tout ça. Mais faut surtout que t'ailles voir l'équipe de Serdaigle en fait."

Un baillement. Flavian, lui, était crevé depuis le début. Il n'avait pas eu le boost d'énergie qu'avait connu Sanaé, toute cette histoire l'avait épuisé, et il n'avait qu'une envie, c'était d'aller pioncer.

"Et euh je te souhaite bon courage avec l'entraînement alors. Change pas d'avis ce serait dommage, ok? Je vais aller dans la bibliothèque. Me plonger dans les livres." Ouais. La tête la première. Et puis ensuite il allait gentiment ronfler. Flavian sourit, s'amusant tout seul.

"J'te laisse, alors. Entraîne-toi bien, tout ça." Et, se posant au sol, il lui fit un vague au revoir de la main; il avait encore à remettre toutes les affaires de quidditch dans le vestiaire (et il allait probablement tout fourrer dans un casier) et il avait hâte d'en avoir fini pour aller faire la sieste.

Mais franchement c'était plutôt cool comme début de week-end. Flavian était plutôt content de voir Sanaé s'inscrire dans l'équipe de Quidditch. C'était cool.