Enfin un samedi. Enfin une journée où il pourrait réviser ses ASPICS qui approchaient à une vitesse vertigineuse. Du moins c'est ce qu'il montrait - au fond, il s'en fichait. S'il loupait cette année, il partirait surement quand même. Ses recherches étaient bien plus intéressantes et poussées, et concernaient des choses qui le concernaient beaucoup plus. La magie noire. Bien entendu, il était facile pour lui de se rendre dans la bibliothèque interdite; une simple excuse au concierge et c'était fait.

Fatigué de sa lecture, il se redressa sur sa chaise et s'étira, regardant et redécouvrant la bibliothèque; propre, colorée, l'ambiance y restait tout de même glauque; l'éclairage gris de l'extérieur y jouait beaucoup. beaucoup étaient présents, et pourtant Charlie avait réussi à s'installer seul à une table, d'au moins six personnes. Il craqua son cou, une main sur sa nuque. Mais quelque chose vint le contrarier. Quelque chose de grave. Au loin, il aperçut Cyryel Song, cette Serdaigle chiante avec qui il avait pourtant développé un certaine relation, autrefois.

Avec un peu de chance, elle ne le verrait pas. Il posa son coude sur la table et cacha son visage de sa main, espérant qu'elle passe son chemin. Mais c'était loupé, elle vint s'asseoir à sa table sans aucune gêne, ne demandant même pas si ça le dérangeait. D'une certaine façon, elle avait eu raison; la réponse du préfet-en-chef aurait été honnête et froide. Il l'ignora cependant, ne levant même même pas son regard sur elle. Sa voix vint percer ses tympans tel un cri strident. Elle prétendait le connaître ? Charlie avait toujours passé beaucoup de temps à la bibliothèque. Il était studieux malgré tout, bordel; cachant toute forme de sentiments, il continua sa fausse lecture - avec elle en face, il se sentait observé, n'arrivait pas à se concentrer. Alors il regardait son livre. Pour faire genre, il tourna une page, cherchant à faire comme si elle n'existait pas.

Des cours de self-control hein. Oui, certainement, ça devait être ça. Ou alors, il s'était simplement rendu compte de la dangerosité de ses émotions, de ce que cela pouvait causer, de ce qu'il pouvait se passer s'ils n'étaient pas gérés. Aussi s'était-il refroidi et prenait sur lui, préférant la désespérance à l'énervement. Il leva simplement un regard vers la jeune fille, sans rien rajouter. Elle le faisait en fait chier, il voulait être solitaire, il voulait apprendre sa magie noire sans personne à côté. Parce qu'en fait, discrètement, il avait posé son coude sur le bouquin, pour ne pas qu'elle puisse en lire quoi que ce soit. Il ne manquerait plus que des rumeurs commencent à circuler. C'était top secret, mais à moins qu'elle ait des yeux de hibou, capable de lire à l'envers, il n'y avait pas de risques; mais elle ne partait pas.

- Tu comptes rester longtemps ? demanda Charlie, lâchant enfin des yeux son bouquin pour poser son regard dans celui de Cyryel Song.

Elle l'emmerdait un peu, en fait. Mais elle l'avait toujours fait, c'était une chose certaine. D'aussi loin qu'il s'en souvenait, elle s'était amusée à l'énerver, à le suivre parce qu'il l'amusait. Au moins, il ne l'amuserait plus. Au moins, il s'en débarrasserait plus vite. Du moins, il l'espérait.

Pourquoi il lisait ce livre. Il avait failli s’étouffer à cette remarque alors qu’il dissimula sa gêne dans une toux sincère – oui, il s’était réellement étouffé, avec sa salive, le boulet. Tout ça à cause de l’effet de surprise auquel il ne s’attendait pas ; elle avait reconnu le livre. Charlie se demanda quelques instants comment ; la page de garde était contre la table, et elle ne pouvait que voir des lignes à l’envers. S’il y avait eu une image à la limite, il aurait pu comprendre. Mais non. Cependant, il s’en fichait un peu ; peut-être était-elle une adepte de ce genre de bouquin et qu’elle le connaissait par cœur, ce n’était pas son problème. Lui la laissait faire ce qu’elle voulait, alors pourquoi ne le lâchait-elle pas ? Ce n’était après tout pas comme si ça la concernait, ou la regardait. Charlie ne la considérait pas comme une amie – seulement une simple connaissance – et lui avait toujours mis un pied d’honneur quant à respecter la vie privée des gens. Cette fille avait un sérieux problème d’éducation.

Surtout qu’il aurait encore préféré se confier à Ben Whitsett plutôt qu’à elle. Lui au moins, aurait compris – il n’aurait pas essayé, mais aurait compris. Elle, il la voyait déjà sortir ses baratins sur le mal et le bien, la dangerosité de la chose et tout ce qui s’en suit, une belle morale qu’il voulait éviter, simplement pour faire économiser de la salive à le demoiselle, et du temps à son égard. La crise d’adolescence avait pris fin – ou débuter, à vrai dire je n’en sais rien – et Charlie n’était pas d’humeur à écouter blablater une nana dont tout avait été parfait ou presque dans sa vie. Qui au moins, n’avait pas été élevée dans l’inconscience d’elle-même, de ce qu’elle était, de ce qu’elle avait fait. Et même si c’était le cas, il en avait rien à battre, et elle ne se poserait pas des questions sur le « pourquoi » il lisait ce livre. C’était pourtant évidant ; il y trouvait du plaisir, sans quoi il aurait changé de bouquin depuis longtemps – eh non, malgré tout Charlie n’était pas maso ! - . Bref, il n’estimait pas avoir à se justifier devant elle.

« Ta présence me donne des envies noires. » rétorqua Charlie au tac-au-tac, tirant un peu le livre vers lui pour qu’elle ne puisse plus l’atteindre et qu’elle arrête de le tapoter.

En réalité, c’était plus dans un élan de protection maladive, mais il ne s’en rendit pas tout à fait compte. Les bouquins aussi avaient une histoire et des sentiments, du moins dans la tête du préfet, et il fallait être soigneux avec eux.  Mais celui-ci était encore plus important aux yeux de Charlie, comme s’il l’obsédait nuits et jours, ne s’arrêtant de le lire qu’en extrême nécessité. Plus étrange encore, il ne semblait pas avoir de fin. Le préfet avait beau tourner les pages, le bouquin n’avançait jamais, ce qui ne faisait que l’arranger. Qu’importe, il la regarda droit dans les yeux, la petite fouine. Il avait bien répondu, bien rétorqué. Pourquoi ? Parce qu’elle était là, et que ça lui donnait envie de lire de la magie noire. Elle serait au moins assez intelligente pour comprendre ça – ou alors le blason bleu sur sa robe de sorcier relevait d’un miracle. La rage bouillonnait au fond de son ventre ; il lui aurait certainement répondu que ça ne la regardait pas, ou un célèbre ‘de quoi je me mêle ?!’ ou encore ‘je t’en pose des putains de questions bordel ?!’ auparavant. Avant. Quand il ne savait pas encore. Il aurait laissé cette rage éclater au grand jour, même dans cette bibliothèque où le silence était d’or. Il soupira, l’air blasé.

« Si je peux te rassurer Song, ta présence n’est pas plus joyeuse que lui. » rajouta-t-il, comme s’il défendait un ami ; comme si ce bouquin était humain, comme s’il s’était surpris à l’aimer. « Maintenant » dit-il en prenant appui sur le dossier de sa chaise, amenant le bouquin contre son torse, le gardant en sécurité, tenu par ses deux avant-bras. « Si t’as plus rien à rajouter » son regard devint noir « tire toi. ».

Charlie soupira longuement. Elle le fatiguait. Il était assez grand pour savoir ce qu’il faisait, surement plus qu’elle. Au moins elle reconnaissait un fait de taille – le préfet ne l’appréciait pas. Quant au bon sens, il l’avait abandonné depuis longtemps. Le bon sens, il n’en avait jamais eu – si la responsabilité avait toujours fait partie de son caractère, le reste lui, n’avait été que fouilli et brouillon. Enfin, il se trouvait, enfin il comprenait ce qu’il avait manqué à toute sa vie et c’est une presque inconnue qui venait lui faire une morale digne des grands poètes, en prétendant ne pas la lui faire. L’idée fit sourire le préfet. Sérieusement, elle disait ne pas lui faire la morale ? S’entendait-elle parler, ou quoi ? Il lui fit un sourire hypocrite, si hypocrite que même un enfant de trois ans aurait compris qu’il était faux. Mais ne vous voilez pas la face, cet effet était totalement voulu. Peut-être que comme ça elle le lâcherait.

Cyryiel Song était tout ce qu’il détestait. Elle se mêlait des choses les plus personnelles et intimes de Charlie et ne semblait pas en démordre. Comme si ça l’intéressait. De toute façon elle ne pourrait rien faire pour lui – si elle pouvait comprendre, elle ne l’aiderait en rien pour autant. Il était assez entouré et n’avait pas besoin d’une petite fouine comme épaule, sachant pertinemment qu’il y avait un risque qu’elle aille le répéter à tout le monde. Les faiblesses devaient être secrètes si l’on ne voulait pas se faire marcher sur les pieds. Plus jeune, la seule véritable faiblesse de Charlie était son poids, une chose qu’on ne pouvait pas cacher. Il ne prendrait pas le risque de voir son passé révélé pour qu’on puisse finalement en profiter et le mettre plus bas que terre. Surtout avec un sujet aussi facile à faire dériver. Meurtrier, diraient certains. Inconscients, diraient d’autres. L’idée n’enchantait pas le préfet. Il ne répondit rien à la jeune fille, alors qu’elle enchainant sur ses ASPICS. Si ses notes étaient peu favorables depuis le début de l’année, c’est parce qu’il n’arrivait pas à gérer son statut de préfet. Parce que la quantité de travail ne l’avait pas habitué à tout ça.

Sa culture générale avec un autre livre. Il sourit sardoniquement. Sérieusement, pour qui le prenait-elle ? Il la regarda amener un livre sur la table grâce à un sort primaire. Quoi, elle voulait l’impressionner ? La jeune fille semblait bien informée sur le côté noir de la magie, quoi qu’on en dise. Et le préfet ne pouvait qu’en rire. Elle qui semblait si innocente. Comme quoi, il ne faut jamais se fier à l’habit du moine. Sur la table se posa donc un peu brusquement un bouquin de première catégorie, La magie noire pour les nulles. Cela fit clairement rire Charlie, qui hésitait entre être désespéré ou être amusé. Effectivement, elle était une petite fouine et il ne lui dirait pas, peu importe le nombre d’années où elle insisterait.

« Qui te dit que je ne fais que commencer ? » demanda Charlie en faisant se remettre le livre avec un simple petit discret geste de baguette. « Et pour ta gouverne » reprit-il en insistant sur les mots qu’elle venait d’évoquer, « dans ce cas tu me permettras de partir. » continua-t-il en attrapant son sac et en soupirant. Celui-ci, il ne pouvait pas l’emprunter, ce livre étant bien entendu une propriété de la réserve. Il soupira, dégouté que sa journée ait été ainsi contrariée. Ou bien parce qu’il était lui-même contrarié. Il mit soigneusement le livre dans son sac et se leva, jetant un regard de dégout à la jeune fille qui avait décidé de faire le toutou qui voulait en savoir plus sur la vie du préfet. Sérieusement, ça le dérangeait un peu. « Ne t’avise même pas d’en parler Song. » Sinon ? Sinon Charlie se montrerait beaucoup moins gentil qu’il ne l’avait fait jusqu’à maintenant. Il n’était pas d’humeur à ce que l’on vienne fouiller dans sa vie. Il se déplaça jusque derrière la chaise de Cyryiel, posa ses mains sur le dossier et se baissa à son oreille. « S’il te plait » rajouta-t-il alors que son ton comme sa position sonnait plus comme une menace.  Non, faut pas abuser, Charlie n’était pas méchant. Pas pour le moment.

Si ça se savait, en revanche, Charlie savait qu'il risquait ses études, sa vie. La magie noire était formellement interdite à Poudlard, même pour une simple curiosité. Si quelques professeurs étaient au courant du côté noir du préfet, il ne voulait pas que cela s'ébruite - il savait que c'est sa relation avec eux qui avait fait qu'il pouvait l'étudier en leur compagnie. Il se redressa en soupirant. Il ne fallait pas qu'elle en parle.

Il s’était redressé doucement et n’avait pas attendu la réponse de Cyryiel pour s’éloigner d’elle. Merci, merci de lui avoir gâché sa tranquillité d’un samedi après-midi. Le préfet était conscient que la plupart des élèves avaient remarqué son calme ambiant qui tournait autour de Charlie, lui habituellement plus susceptible qu’une furie. Il soupira en rendant son livre à Berlioz de Bersiliaque, tout aussi français que lui avec qui il s’entendait plutôt bien. « C’est pour le professeur Lovecraft » était une excuse qui passa crème lorsque le bibliothécaire constata le bouquin en possession de Charlie qui sortit finalement de la bibliothèque. Il se demanda quelques instants ce qu’il pouvait maintenant faire – rejoindre quelqu’un ne l’enchantait pas forcément, le professeur Lancaster était occupé à exercer ses fonctions, bref, il ne savait pas quoi faire. Il soupira alors lorsqu’il sentit une vague folle arriver derrière lui, une voix perçante criant son nom dans les couloirs. Bordel, elle connaissait son deuxième prénom ?! Mais c’était qui cette stalkeuse perverse ?! Suivant le regard de tous ceux qui se trouvaient dans le couloir, Charlie constata ce qu’il redoutait. Merde. Cyryiel ne semblait en avoir fini avec le préfet et avait l’air plutôt remontée ; elle lui avait même envoyé un livre dessus. Prenant un air blasé, il se baissa pour le ramasser. Comment traitait-elle un livre emprunté à la bibliothèque ? Et encore, Charlie doutait fort qu’elle ait eu le temps de faire un emprunt. Elle approchait trop rapidement de lui, trop vite. Charlie recula, bien entendu. Si son côté hypocondriaque s’était envolé en même temps que ses souvenirs avaient rattrapé son cerveau, il restait très peu à l’aise avec les contacts physiques. Question d’habitude, dirons-nous. Cependant, un mur le bloqua. Bordel, il se tapait la honte devant tout le monde. Garder son calme.
Garder son calme.

« Foxx ! Ne t’avises plus jamais de me menacer, tu entends ?! » lui chuchota-t-elle, la colère dans la voix. Charlie leva un sourcil. « Sinon quoi ? ». Elle ne le battrait pas, pas en duel. Elle ne lui ferait pas de mal, même en essayant de le taper. Il pensait qu’elle lui ferait du chantage, mais non. « Tu n’es qu’un stupide idiot arrogant et pourri d’orgueil !!! Saches une chose, même si tu ne veux rien me dire, je finirais par avoir le fin mot de l’histoire, je ne lâcherais pas le morceau! Si tu oses, si tu oses encore une fois refaire ce que tu viens de faire, tu risques de le regretter, si tu voulais me décourager, c’est raté, tu as fais tout ce qu’il ne fallait pas ! » Charlie la repoussa doucement avec le livre qu’il avait dans les mains, sourcil droit levé, imposant une distance entre eux. « Et après c’est moi qui menace ? » ironisa-t-il.

Ouais okay, elle était énervée. Charlie lui, semblait plutôt blasé, quel pot de colle ! Il la regarda se reculer et aller ramasser ses affaires. Tant mieux, elle allait enfin le lâcher ! « La prochaine fois que tu veux refaire l’éducation de quelqu’un, pose toi des questions sur toi-même.» constata-t-il en se décollant du mur et en fixant les élèves, interloqués. Il haussa les épaules et rejoignit la demoiselle à côté. C'était tellement facile de juger les autres d'un simple coup d'oeil et sur quelques secondes passées avec eux ! Ô Charlie connaissait bien cette façon de faire, il l'avait assez subite dans son enfance. Mais à aujourd'hui il refusait totalement de tolérer ce genre de comportement puéril et discriminatoire. « Tu ne veux pas que je te menace, et tu me menaces. Tu ne veux pas que je lise certains bouquins, mais tu sembles plutôt informée sur le sujet. Drôle de façon de faire les choses. » Résuma-t-il, un air supérieur dans la voix. « Apprends à rester à ta place, mêle toi de ce qui te regarde. Et va rendre ce livre. » Finit-il simplement en plaquant sans délicatesse le bouquin sur le thorax de la jeune fille, l’obligeant à stopper sa marche.

Elle avait mentionné son orgueil ? Idiot et arrogant ? Charlie ne nierait pas. Idiot, très certainement - il reconnaissait que ses raisonnements étaient souvent bâteaux et enviait tellement ceux dont l'intellect était surpuissant et dont la culture n'avait aucune pareil - d'où cette admiration secrète pour Mordred Lovecraft et d'autres professeurs tels que Viridus Emerald. Oui, réellement, il aurait voulu être plus intelligent. En revanche, orgueilleux il ne l'avait jamais réellement été - du moins jusqu'à peu. Sa confiance en lui avait toujours était bancale et à aujourd'hui, alors qu'il en trouvait enfin un peu, du moins seulement pour qu'on le laisse seul, on le lui reprochait. Diable, peu importe ce qu'il faisait, ce n'était pas bien. Peu importe ce qu'il était, on ne l'aimait pas. Alors pourquoi essayer d'être parfait et de se faire accepter quand des gens se comportaient de la sorte avec lui ? UN raisonnement peut-être égoïste, mais qu'il jugeait juste. Il penserait, au moins une année dans sa vie, à lui, au lieu de s’apitoyer sur le sort des autres.

Un miracle c’était produit ; il avait réussi à contrôler la rage dans son ventre. Parce que oui, il avait envie d’exploser et l’aurait certainement provoquée quelques jours auparavant. Il était resté digne et n’avait même pas haussé la voix. Quelle force mentale !

Il la regarde, l’épia. Avait-il changé ? Oui, il s’en rendait compte. Tout le monde changeait, la maturité, la responsabilité qui prenait le dessus sur le besoin de s’amuser, de rire, de pleurer. Les émotions à fleur de peau s’envolaient pour une réponse réfléchie, les échos des rires disparaissaient pour être plus mature. Le changement pouvait être mauvais, c’est vrai. Autant qu’il pouvait être bon, adoré. Charlie ferma les yeux et appuya son épaule sur un mur, l’écoutant lui parler. Charlie savait. Qu’elle avait remarqué, que le monde entier autour de lui savait qu’il n’était plus le même. Que quelque chose l’avait blessé, ou pire, heurté, et l’avait fait se réveiller, murir et grandir. Il apprenait à contrôler ses émotions, à les dévorer pour qu’il n’en reste rien, pour qu’il arrête de gueuler pour rien. Il développait son sens de l’empathie, son besoin d’aider, il développait ses faiblesses, les acceptait, les assumait, pour en contrepartie, restreindre son entourage, ne plus s’intéresser à ceux qu’il ne connaissait pas, en qui il n’avait pas confiance. Qu’est-ce que cela pouvait bien lui faire, qu’on ait remarqué son brusque changement de personnalité ? En soi, il s’en fichait. Qu’on voit qu’il n’aille pas bien, ce n’était pas important, on l’avait assez jugé, il était habitué. Il sourit à la jeune fille qui elle, ne contrôlait rien de ses sentiments, qui, énervée, avait haussé la voix, s’était montrée agressive ; Charlie reconnaissait au moins son don pour changer de conversation. Il se contenta de hausser les épaules. Qu’on remarque qu’il change. Que cela change. Grand bien lui fasse.

Elle se retourna vers lui, et son regard se montrait dur, sévère, sérieux. Trop sérieux même pour que le préfet s’en inquiète. A 15 ou 16 ans, on veut révolutionner le monde. On pense aider mais on ne pense pas à se faire aider. On exagère, on extrapole.

L’orgueil de l’âge le fit sourire ; ses pensées étaient celles d’un vieux averti, d’un de ceux qui pense tout savoir. Il ne savait rien. Soupirant, il fit tomber sa tête en signe d’ennui, son regard porté maintenant sur le carrelage froid et noir de Poudlard. A son image. On marchait chaque jour sur lui, et pourtant on ne le voyait pas. A son image, il était lisse et sombre. Glissant et mordant. Mais des pieds vinrent perturber sa vision. Il sursauta et se plaqua contre le mur, peu à l’aise avec tant de proximité ; il ne voulait pas qu’elle l’approche. Il ne comprit pas tout de ce qu’elle lui dit. Elle lui ordonna quelque chose – dommage pour elle, le préfet était très peu avenant à ce qu’on lui dise quoi faire. Il fronça les sourcils alors qu’elle finissait sa phrase et s’éloignait de quelques pas, lui croisant ses bras, son inconscient voulant le protéger de ce qui l’entourait, de cette fille qui se permettait tout permis.

« J’en pense que j’en ai rien à foutre » railla-t-il. Mais elle ne l’avait pas écouté.

Elle était partie, dans la bibliothèque, finalement partie rendre le livre, obéissant à la demande du préfet. Se séparant de ce mur, il se gratta les cheveux ; c’était maintenant le moment de fuir. Jetant un dernier regard à la porte de la bibliothèque, une langue passant sur sa lèvre inférieure, hésitant, il finit par tourner les talons et commencer à s’en aller, marchant simplement. Il n’était pas rassuré, était dans la crainte qu’elle en parle, que la rumeur d’un faiseur de magie noire s’ébruite. Que Charlie soit renvoyé, pire, qu’il fasse perdre des points aux Gryffondors. Il se maudit intérieurement, la magie noire le poussant à faire des choses qui n’étaient pas lui, que jamais il n’aurait faite. Si le sujet l’intéressait plus que jamais, la crainte que Gryffondor ne gagne pas la coupe des quatre maisons le faisait trembler. Il sourit ; il restait un peu de lui, au fond de cette carapace vide de sympathie. Merde. D’un geste brusque, Charlie fit demi-tour; il ne la laisserait pas tout répéter, il ne ferait jamais ça. Elle était déjà sortie lorsqu'il revint.

« Que ce soit clair. » déclara-t-il en s'approchant, d'un ton froid et autoritaire. « Je ne te suis pas pour toi, ni pour moi. Je te suis pour gryffondor. » Il rentra l’une de ses mains dans sa poche alors qu’il arrivait à son niveau. « Promets-moi de ne pas en parler, et je ferais des concessions. Ce que tu as vu doit rester entre nous. » déclara-t-il. Si suivre la petite une heure lui empêchait de faire perdre des centaines de points à sa maison, alors il le ferait. Parce qu’au fond de lui criait toujours cette rage de vaincre Alix, cette volonté de battre ceux qui jusqu’à maintenant, l’avaient rabaissés. Il ne voulait pas perdre.
Parce qu’il croyait en sa maison, en ses membres.

Parce que Charlie était humain.

Le jeune homme soupira. Lui non plus ne s'attendait pas à revenir, et seule sa prise conscience quant à sa position vis à vis du règlement, vis à vis de Gryffondor lui avait donné le courage de faire demi-tour. En toute honnêteté, malgré toute la volonté qu'elle y mettait, Charlie n'avait pas envie de parler à Cyryiel. Il était touché, honnoré même qu'elle veuille à tout prix l'aider, mais il n'était nullement intéressé. Personne ne pouvait l'aider. Pour lui, seuls les professeurs étaient en mesure de faire quoi que ce soit, et les rares au courants ne se donneraient pas la peine de lever le petit doigt. C'est la solitude qui l'emprisonnait. Et la magie noire ne lui tenait non pas compagnie, c'était bien plus qu'un simple livre qui parlait dans son esprit. C'était bien plus que ce que Cyryiel semblait penser.

Charlie n'avait pas commencé ses lectures noires pour le plaisir. Il ne l'avait pas fait pour devenir le plus grand mage noir que le monde n'ait jamais connu, non, ça ne l'intéressait pas. Il ne comptait pas réitérer l'expérience de tuer quelque, cela semblait bien trop traumatisant et trop dur à vivre pour son petit être. C'était plus important, plus profond, ses raisons étaient simplement plus raisonnées que celles de Ben Whitsett, par exemple. Dominer le monde, il n'en voyait pas l'importance, avoir des gens à ses pieds, où était l'intérêt ? Des sujets sur lesquels les deux jeunes hommes n'arrivaient pas à s'entendre et étaient prêts à se battre. Non, Charlie s'était plongé dans la magie noire pour se sentir vivant. Pour découvrir quelque chose de nouveau qui lui permettrait de se remettre sur pieds, de se changer les idées quelques temps. Un moyen de devenir plus fort, d'approfondir ses connaissances en sortilèges. D'avoir un pilier, quelque chose à découvrir, à comprendre pour ne pas sombrer. Et ça marchait, malgré ce que les gens en pensaient. S'il se sentait à moitié mort sentimentalement parlant, ses pensées elles n'avaient jamais autant fonctionné, il ne s'était jamais senti autant impliqué dans un sujet. Il n'utilisait pas la magie noire comme une arme, ou quelque chose de mauvais, mais au contraire comme un rayon de lumière dans sa vie devenue morne et trop difficile à supporter.

Il la regarda s'éloigner. Voulait-il sérieusement la rejoindre ? Non, il n'y tenait pas, de même qu'il savait pertinemment qu'il ne pouvait pas retirer de nouveau le livre qu'il avait emprunté. Elle voulait de toute évidence lui montrer quelque chose - un souvenir, un pouvoir spécial ? il n'en savait rien. Un souvenir ne le concernait certainement pas - retrouver les siens lui avait suffit, il n'avait pas besoin de s’apitoyer ensuite sur le sort des autres. Qu'il surmonte déjà l'épreuve actuelle qui se présentait à lui pour ensuite aider les autres. Là n'était pas le souci. De même que l'idée d'un pouvoir spécial ne l'intéressait pas. Il se fichait bien d'en savoir plus qu'un autre, il voulait juste se changer les idées, et il trouvait que la lecture et la connaissance d'un nouveau sujet aussi sombre soit-il pour mieux se connaître était bien plus intéressant que se doper au philtre de paix.

Charlie soupira. La laisserait-il seulement attendre là bas, dans cette salle de cours à ce qu'il vienne ? Le préfet était beaucoup de choses, mais certainement pas mal poli. Sans un mot, il soupira et remit en place son sac sur son épaule avant de se diriger vers la salle où se trouvait la jeune fille. Elle lui avait pourtant dit qu'elle ne répèterait rien, il n'avait plus aucune raison de la voir. Il n'en avait même pas envie, il soupira. Simple formalité et il serait enfin libéré. Il toqua deux fois à la porte d'entrée. Peut-être qu'il la dérangerait, qu'importe. Il entre-ouvrit l'objet avant de dépasser l'encadrement de la porte et de s'arrêté. Figé, elle semblait stressée. Il passa une main dans ses cheveux.  

« Je peux pas récupérer le livre. » dit-il simplement en tournant les talons. « Et lâche moi. J'ai mes raisons, c'est tout. » conclut-il, comme pour lui donner une esquisse de réponse à toutes ses questions. « Valables ou pas c'est mon problème, c'tout. Bonne journée Song. » finit-il en claquant la porte derrière lui. Il souffla un bon coup. Cette fois ci, c'était définitivement fini.