Des étoiles plein les yeux, assis dans les gradins, il assista au décollage des quatorze joueurs venus défendre les couleurs de leur maison. Du rouge et de l'or, d'un côté, comme un feu-follet ; du bleu et de l'argent, de l'autre, comme une nuit étoilée. Kalev n'avait pas l'habitude d'assister à ce ballet, cette profusion de couleurs ; il était plus souvent acteur que spectateur, robe de jaune et de noire sur le dos. Ses yeux connaissaient bien mieux l'image du terrain vu de haut, de très haut, lorsque ses camarades restés au sol n'étaient plus que des points lointains, que l'image du terrain vu d'en bas, qui lui donnait ce sentiment d'être infiniment petit ; lus petit qu'il ne l'était déjà, et cette pensée le froissait toujours, et Kalev gonfla imperceptiblement les joues.
Les taches de couleurs ondoyaient ; elles attendaient le coup d'envoi. La libération des balles était le moment clé : le vif d'or pouvait être capturé en quelques secondes, un cognard pouvait blesser en un instant, le souafle pouvait changer de main dans les plus courts délais. Il s'en rendait tellement mieux compte, du haut d'un balai, qu'assis ici à serrer les poings de frustration de tout voir si mal, de si loin.
Autour de lui, les élèves de Poufsouffle se bataillaient leurs encouragements, tantôt pour un joueur de Gryffondor de talent, tantôt pour une élève de Serdaigle entourée de bien des amis. Kalev restait silencieux, pour le moment. Il savait à qui donner ses encouragements, les avait déjà communiqué avant le match, continuerait de les fournir pendant l'effort, complimenterait à la fin, lorsque tout un chacun aura posé un pied sur le sol et fêté sa digne victoire, ou digéré sa triste défaite.
Le coup de sifflet raisonna dans l'ensemble du terrain ; les balles fusèrent, les premières actions furent décrites par le commentateur. C'était étrange de se focaliser davantage sur la voix d'une personne extérieure au jeu que sur le placement et les actes de es coéquipiers. Kalev ne se ferait jamais à la position de spectateur. Pourtant, l'année touchait bientôt à son terme, et lorsque la finale se serait déroulée, quel qu'en soit le résultat, il ne toucherait sans doute plus à un balai ; il n'était pas son frère. Il n'avait ni son talent, ni sa chance : il ne ferait pas carrière.
Jusqu'ici, Kalev entendit son nom crié à travers les hautes herbes par son meilleur ami. L'état du terrain ne l'avait même pas surpris. On ne s'étonnait plus de rien, après sept années passées ici. Son seul regret, c'était de ne pas pouvoir admirer les prouesses de Camille ; de devoir se contenter de comprendre ce qu'il se passait à travers la voix du commentateur. Camille avait touché quelqu'un. Qui ? Il l'ignorait ; mais Kalev mit ses mains en porte-voix.
- CAMILLE TU ES LE MEILLEUR !
A chaque match du français, c'était la même phrase, prononcée dans sa langue maternelle, avec cet accent horrible qu'était celui de Kalev. C'était une phrase mainte et mainte fois répétées dans l'espoir de la maîtriser, sans succès.